J.S. Bach et Telemann réunis par Lionel Meunier dans un programme autour de l’Ascension
Himmelfahrt. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Himmelfahrtsoratorium BWV 11. Auf Christu Himmelfahrt allein BWV 128. Georg Philipp Telemann (1681-1767) : Ich fahre auf zu meinem Vater TWV 1:825. Vox Luminis, Freiburger Barockorchester. Lionel Meunier. Viola Blache, Zsuzsi Tóth, soprano. Alexander Chance, William Shelton, altus. Raphael Höhn, ténor. Sebastian Myrus, Tobias Wicky, basse. Livret en français, anglais, allemand (paroles en allemand et traduction bilingue). Mai 2022. TT 64’48. Alpha 1032
Le temps de l’Ascension fédère les trois œuvres réunies sur cet album, sous la direction de Lionel Meunier. Créée en 1725 et encadrée par Wer da gläubet und getauft wird BWV 37 et Gott fähret auf mit Jauchzen BWV 43 conçues pour les années adjacentes, Auf Christu Himmelfahrt allein est la seconde des quatre cantates que Bach consacra à cette circonstance liturgique. Sa dernière contribution prit la forme d’un oratorio, BWV 11, en 1735. Paru en 2000 (DG-Archiv) et capté en 2012 (SDG), deux albums de John Eliot Gardiner (English Baroque Soloists, Monteverdi Choir) rassemblaient ces quatre opus.
L’interprétation de l’Himmelfahrtsoratorium succède à un catalogue riche de quelques dizaines de versions. Une raison suffisante pour que l’auditeur se montre exigeant, notamment dans les deux grandes arias. Succombera-t-on au timbre acide et à l’articulation crue de Zsuzsi Tóth dans Jesu, deine Gnadenblicke ? Même si on se délecte du verbe clair et de la diction onctueuse d’Alexander Chance, pourquoi décortiquer ainsi Ach, bleibe doch, mein liebstes Leben à une allure bien plus lente qu’à l’habitude, quitte à désamorcer la supplique envers la vie qui veut s’en aller ? Pour le conclusif Wenn soll es doch geschehen, le chœur d’une quinzaine de voix ne rayonne pas de toute sa plénitude, comme s’il n’osait investir le vif tempo impulsé par le chef. En tout cas, la prestation du Freiburger Barockorchester s’avère aussi précise que somptueuse. Tant la vivacité de ses archets que le lustre de ses cuivres et timbales.
On accueillera plus volontiers le BWV 128, et pas seulement car la concurrence discographique se montre moins abondante. On saurait concevoir l’introduction Auf Christu Himmelfahrt allein plus exultante, mais Vox Luminis et l’ensemble instrumental savent doser un élan commun et équilibrer leurs textures. Un autoritaire, puissant Sebastian Myrus dans le Auf, auf mit hellem Schall, un sobre mais émouvant duo servi par William Shelton et Raphael Höhn pour Sein Allmacht zu ergründen : les numéros solistes convainquent sans réserve.
Au cœur de ce CD se niche ce qui nous est annoncé comme « premier enregistrement mondial » : une des quelque trente cantates que le prolixe Telemann écrivit pour célébrer l’Ascension, et parmi celles-ci une des deux à employer une paire de cors –l’équipe a certainement profité de leur présence dans le BWV 128 pour retenir cette partition cotée TWV 1:825. Malgré quelques procédés convenus (le topos des vagues et des vocalises pour Mein Schifflein treibet auf den Wellen comme allégorie du voyage de la vie terrestre), on y savoure le talent d’orchestrateur et d’imagier du Hambourgeois. Ainsi les flûtes et les pizzicati qui tintent dans Ich kann getrost im Tode sein, délicieusement chanté par Viola Blache. La tonalité de fa mineur, le rythme de sicilienne bercent un Ich will alle Stunden zählen nimbé du style galant, dont William Shelton tire une touchante déclaration. L’orchestre de Freiburg sait y suggérer le virage esthétique vers un langage empreint d’Empfindsamkeit. Par la rareté de cet opus et la qualité de l’exécution, la découverte de cette cantate est globalement la part la plus intéressante du disque.
Christophe Steyne
Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7-9