Kiki à Paris, passage de la mélodie à la chanson au XXe siècle

par

« Kiki à Paris » Mélodies et chansons de Claude Debussy, Reynaldo Hahn, Francis Poulenc, Lili Boulanger, Kiki de Montparnasse, Boris Vian, Édith Piaf, Barbara, Dalida, France Gall, Jane Birkin, Brigitte Fontaine, Juliette et Hoshi. Albane Carrère, mezzo-soprano ; Elsa De Lacerda, violon ; Magali Rischette, guitare ; Jean-Luc Fafchamps, arrangement et composition. 2024. Livret en français et en anglais. 56’25. Cypres, CYP8623. 

En partant de la figure de Kiki de Montparnasse, muse de tant d’artistes et immortalisée par la photographie de Man Ray dans laquelle son corps devient violoncelle, la mezzo-soprano Albane Carrère, la violoniste Elsa De Lacerda et la guitariste Magali Rischette concoctent un programme qui retrace le passage de la mélodie à la chanson au cours du XXe siècle.

Dans des arrangements volontairement minimalistes de Jean-Luc Fafchamps, Albane Carrère semble fredonner ces musiques d’une voix simple, ni d’opéra ni de variétés. De Debussy (Chansons de Bilitis) à Poulenc (Mon cadavre est doux comme un gant), de Reynaldo Hahn (À Chloris) à Lili Boulanger (Reflets), ces mélodies montrent des visages bien différents d’interprétations lyriques. En effet, plutôt que de se concentrer sur la performance vocale portée par le beau timbre et par la belle résonance, elle met plus d’accent sur le texte qu’elle « dit », comme pour anticiper les chansons d’Édith Piaf (Mon Dieu), de Barbara (Toi), de Jane Birkin (Quoi) ou de Juliette (Tueuses). Cette sensation est renforcée par le r grasseyé, parfois très marqué, notamment dans À Chloris. C’est aussi le cas pour Là-haut sur la butte de Kiki de Montparnasse, où la cantatrice se défait de toute technique du chant classique. 

Le trio s’amuse avec Je suis conne de Brigitte Fontaine, Et même après je t’aimerai de Hoshi, où les traitements de son électroniques s’ajoutent allègrement dans l’arrangement. Jean-Luc Fafchamps propose des percussions corporelles pour Résiste de France Gall, qui fonctionnent très bien dans ce cadre. Cependant, pour ces titres ainsi que Mourir sur scène de Dalida, la voix d’Albane Carrère, issue du lyrique, crée un effet quelque peu bancal.

Un numéro inédit, Je ne voudrais pas crever de Boris Vian, mis en musique par notre arrangeur, trouve parfaitement sa place ici ; on dirait même que la chanson existait depuis longtemps, tant le style se prête à s’intégrer dans cette lignée de chansons françaises.

Nous avons dit que les arrangements de Jean-Luc Fafchamps étaient minimalistes. En fait, il capte et explore si bien le caractère et l’ambiance de chaque musique qu’on entre naturellement dans cet univers dépouillé, où différentes techniques du violon et de la guitare nous invitent à découvrir des sonorités et des timbres inattendus grâce à leurs combinaisons ingénieuses.

Lors du concert de la sortie du disque au Bal Blomet -le music hall près de Montparnasse où Kiki de Montparnasse croisait Joséphine Baker, Francis Picabia, Ernest Hemingway, Joan Miró, André Masson et bien d’autres artistes de la Belle Époque-, l’ambiance de ces chansons était bien mieux rendue que sur le disque. Ce dernier donne une gaieté bienvenue en cette période festive de fin d’année, mais on a plus envie de goûter l’atmosphère de music-hall dans un contexte de… music-hall !

Son : 7  Notice : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 7

Victoria Okada

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