Charpentier en Belgique

par

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704) : Orphée descendant aux enfers, H. 471 ; La Descente d’Orphée aux enfers, H. 488. Vox Luminis et A Nocte Temporis, Lionel Meunier et Reinoud Van Mechelen, direction musicale. 2019. Livret en français, anglais et allemand. Textes inclus avec traduction anglaise. 82.22. Alpha 566.

Mythe inaltérable de la composition musicale depuis le chef-d’œuvre de Monteverdi de 1607, Orphée va intéresser d’autant plus les créateurs français lorsque la partition de Luigi Rossi La lyra d’Orfeo (récemment parue chez Erato dans une version magistrale de L’Arpeggiata de Christina Pluhar) sera représentée en 1647. Lully écrira sa tragédie lyrique sur le thème en 1690. De son côté, Marc-Antoine Charpentier s’en inspirera pour deux partitions : la cantate Orphée descendant aux enfers H. 471 (1684) et l’opéra incomplet La Descente aux enfers H. 488 (1686 ou 1687). Au siècle suivant, Clérambault, Courbois ou Rameau proposeront leurs cantates orphiques.

Œuvre à trois voix, la Cantate H. 471, d’une durée d’un peu plus de vingt minutes, bénéficie d’une superbe combinaison de timbres et du rôle à l’italienne attribué au violon solo, plein de grâce et de finesse, au cœur d’une atmosphère qui va se révéler tour à tour déchirée, plaintive puis résignée. Cette scène dramatique au cours de laquelle l’émotion affleure à chaque instant, est nourrie aussi par un accompagnement des flûtes qui donnent à la plainte d’Orphée tout son poids de fascinante langueur.

C’est pour la Duchesse de Guise, de Joyeuse et Princesse de Joinville, Marie de Lorraine, à laquelle il est attaché, que Charpentier écrit sa Descente d’Orphée aux enfers H. 488. Lors de la création, le compositeur y chante lui-même un rôle. Même si une partie de l’œuvre est perdue, l’ensemble est d’une grande cohérence, considéré par Catherine Cessac dans sa biographie consacrée au musicien chez Fayard en 2004 comme « une des œuvres maîtresses de la production profane de Charpentier, préfigurant les grandes tragédies à venir » (page 176). Pour cette création, le compositeur utilisa toutes les sources vives des chanteurs et instrumentistes de la maison de Marie de Lorraine. L’orchestration est riche : les tailles de viole et les bois participent à la quête d’Orphée. Les solistes et le choeur évoluent dans une ambiance souvent feutrée, aux accents intimistes, touchants et même poignants. L’auditeur est plongé dans un contexte expressif auquel il participe sans réserve, car les scènes se succèdent à travers l’envoûtement d’une interprétation soignée.

D’autant plus que Reinoud Van Mechelen, Orphée dans les deux partitions, fait étalage de ses qualités de déclamation et de son timbre noble et lumineux. Le dosage de la voix est en parfaite adéquation avec les partenaires, tous excellents, au nombre desquels on citera Déborah Cachet en délicate Eurydice dans H. 488, Philippe Froeliger ou Lionel Meunier dans plusieurs rôles. Sur le plan instrumental, on nage en plein bonheur. Qu’il s’agisse de la progression dramatique ou de la dimension lyrique, tout est incarné, vibrant et d’un intense accomplissement. La prise de son d’Aline Blondiau n’y est pas pour rien : la clarté et la limpidité de cet enregistrement réalisé en Belgique, à la Keyhof Chapel de Huldenberg, sont d’une évidence qui lui rend justice.

Son : 10  Livret : 9 Répertoire : 9 Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

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