Jean-Michel Kim à la Salle Cortot : l’art de se fondre dans la musique
Dans la catégorie des pianistes discrets mais dotés d’un immense potentiel, Jean-Michel Kim se distingue particulièrement. Lauréat tout récent du Concours international Albert Roussel, il a offert, le 12 décembre à la Salle Cortot, un récital remarquable avec deux grandes sonates au programme : celle en sol majeur D. 894 de Schubert et celle en si mineur de Liszt.
Né à Tokyo en 1989 dans une famille franco-coréenne, Jean-Michel Kim a suivi une formation musicale au Japon jusqu’à l’âge de 19 ans. Il a ensuite intégré le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, où il a bénéficié des enseignements de Jacques Rouvier et d’Hortense Cartier-Bresson en piano, ainsi que de Haruko Ueda en musique de chambre. Titulaire d’un master en piano, musique de chambre et accompagnement vocal, il a occupé le poste d’assistant dans la classe de chant du CNSMDP jusqu’en 2023. Parallèlement, il a approfondi l’art du piano auprès de Henri Barda à l’École Normale de Musique Alfred Cortot. Parmi les nombreuses distinctions qui lui ont été décernées, on peut citer le prix de piano au 9e Concours d’interprétation de la Mélodie française de Toulouse, ainsi que le Prix SACEM obtenu au 10e Concours international de musique de chambre de Lyon, en 2014, en duo avec le violoniste Keisuke Tsushima.
Lors de son récital, après une brève présentation d’Aïda Marcossian, présidente de l’association organisatrice du Concours Albert Roussel, Jean-Michel Kim prend la parole pour introduire la Sonate de Schubert. Il cherche ses mots, hésite, tente d’exprimer ses idées, mais finit par abandonner avec un sourire en avouant qu’il se sentira bien plus à l’aise au piano. En effet, dès qu’il pose ses mains sur le clavier, la transformation est immédiate. Plongé dans la musique, Jean-Michel Kim devient l’incarnation même des notes qu’il joue. Rarement a-t-on vu un musicien si habité par son art. Il semble vivre chaque note dans l’instant présent, comme si les heures passées à étudier la partition et à réfléchir sur ses subtilités s’évanouissaient pour laisser place à l’intensité et à la spontanéité du moment.
Dans le premier mouvement de la sonate de Schubert, qu’il qualifie de « long et lent », Jean-Michel Kim assume pleinement cette lenteur, sans jamais sombrer dans la lourdeur. Les accords successifs constituant des motifs, souvent détachés les uns des autres alors qu’on pourrait attendre une ligne mélodique plus fluide et liée, ne perturbent pourtant pas l’écoute. Cela intrigue dans un premier temps mais captive par la suite notre attention. Tout au long de l’œuvre, des détails de ce type abondent, comme l’insouciante gaîté du final, qu’il joue bondissant avec une innocence délicate. Cependant, malgré ces choix interprétatifs intéressants, son jeu ne révèle pas encore une affinité pleinement affirmée avec Schubert. On devine en filigrane une quête artistique plus profonde, qui pourrait trouver son épanouissement dans la seconde partie du récital.
Notre pianiste dévoile effectivement une réflexion plus aboutie dans la Sonate de Liszt. Avant de jouer, il prend à nouveau la parole, cette fois-ci avec des notes en main, pour analyser brièvement l’œuvre. Il cite des exemples de transformations des thèmes principaux au clavier, pour servir de clés d’écoute. Bien que son discours reste éloigné d’une éloquence parfaite, il séduit par la sincérité de sa démarche, attirant la sympathie de l’auditoire. Ainsi, il parvient à transformer une faiblesse apparente -l’art oratoire est de plus en plus exigé chez les jeunes interprètes- en une véritable force.
Dans son interprétation de Liszt, cette force s’exprime par une narrativité maîtrisée, où chaque séquence trouve une adéquation parfaite avec son propos, sans jamais rompre l’équilibre de l’ensemble. Doté d’un élan remarquable, il déroule l’œuvre comme un roman, chaque épisode prenant vie avec une variété de tons et de nuances. Tantôt transparent, tantôt intense ou grave, il nous transporte à travers des atmosphères contrastées : la pesanteur majestueuse de la gamme hongroise initiale se métamorphose en tendresse romantique, espièglerie pétillante, sérénité céleste, et bien d’autres émotions encore. Durant toute l’interprétation, l’absorption totale du pianiste dans la partition est palpable. Il semble être seul au monde, face à la musique, en une communion intime et irrévocable avec l’œuvre.
Cette faculté de fusionner avec la musique est sans aucun doute sa plus grande force. Elle laisse entrevoir un avenir prometteur pour cet artiste profondément habité par son art.
Paris, Salle Cortot, 12 décembre 2024
Victoria Okada
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