Jean-Paul Dessy amalgame nature et électronique
Voices of the Animals. Jean-Paul Dessy (1963-). Ensemble Musiques Nouvelles, Jean-Paul Dessy. 58’51". 2025. Livret : français et anglais. Cypres. CYP0624.
C’est à une étrange expérience que Jean-Paul Dessy convie l’auditeur dans ce nouveau disque : avec des musiciens de l’Ensemble Musiques Nouvelles, qu’il dirige, le violoncelliste, épaulé de différents réalisateurs en informatique musicale en fonction des compositions, ambitionne de rendre leurs voix aux autres vivants, dont il capte les grincements, gémissements, cliquetis, gloussements, sifflements, hurlements, jappements, rugissements, grondements, barrissements, sifflements, hurlements, roucoulements et autres bramées, qu’il échantillonne alors, avant d’en faire un guide (une « partition audible ») pour les instrumentistes – connectant par la musique mondes humain et animal.
Pour la suite en cinq parties (The Bat’s Song), le compositeur, au travers d’une alliance, déviante mais assumée, puise dans les ressources antithétiques de l’électronique et de la nature pour nous faire entendre les grincements ultrasoniques de cinq espèces de chauves-souris (le plus souvent supérieurs à 20.000 Hz, ils échappent à nos capacités auditives – et guident, par écholocalisation, les déplacements de ces petits mammifères volants) : fortement ralentis, recombinés, accompagnés par le violoncelle, ils forment des chants insolites, plaintifs et saugrenus – qui m’évoquent, bien involontairement, Several Species Of Small Furry Animals Gathered Together In A Cave And Grooving With A Pict, la contribution de Roger Waters à l’album studio Ummagumma de Pink Floyd (sorti en 1969), pour lequel chaque membre du quatuor compose, en solitaire, une demi-face de vinyle.
Les chants de baleines (ou de dauphins) sont prisés depuis longtemps, dans la filière New Age, pour leur effet relaxant, propice à la méditation ; en y adjoignant des cordes, Dessy dramatise l’atmosphère de Fable Ineffable, nébuleuse et confuse dans un premier temps, grimpant ensuite vers un paroxysme qui se rassérène peu à peu avant que les loups rappellent de leurs hurlements que la vie, jamais paisible, est une lutte, de prédateur à proie.
L’électronique (Oudom Southammavong) prend plus d’ampleur dans Rest Forest (le violoncelle anime de sa présence la 3ème partie), une deuxième suite, en quatre mouvements, qui parle d’arbres, de fougères et de sous-bois, et fait s’exprimer les mammifères de toutes tailles et de tous poids : des 7,6 centimètres (27 grammes) du muscardin aux 6 mètres (5 tonnes) de l’éléphant, en passant par le rat musqué, la marmotte, le faon, le gibbon, l’ours ou le lion.
Je lui préfère The Prey’s Prayer, la pièce qui clôt Voices of the Animals, faite de multiples voix de volatiles et de neuf flûtes et qu’habille avec habileté Elsa Biston, inventive dans son rôle de RIM – détachant, d’un coup sec et avec un bonheur ravi, la pièce de l’héritage du Catalogue d’oiseaux d’Olivier Messiaen.
Son : 8 – Livret : 7 – Répertoire : 7 – Interprétation : 8
Chronique réalisée sur base de l'édition digitale.
Bernard Vincken