Symphonie « Leningrad » de Chostakovitch à Londres : l’ornière ?

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Dimitri Chostakovitch (1906-1975) : Symphonie no7 en do majeur opus 60. Gianandrea Noseda, Orchestre symphonique de Londres. Décembre 2019. Livret en anglais, français et allemand. TT 75’01. LSO0859

Après les symphonies 1, 4, 5 et 8 enregistrées depuis septembre 2016 dans la même collection, la saison 2019-2020 du LSO programmait trois « opus de guerre ». Nos colonnes du 20 mars 2021 commentèrent le SACD incluant la no 9. La no 6 n’est pas encore parue, mais voici la spectaculaire no 7, baptisée « Leningrad » en lien avec les souffrances de la ville pendant l’invasion des troupes hitlériennes. Hélas cette nouvelle réalisation ne soulève guère l’enthousiasme qui se traduisait par un JOKER accordé au précédent volume.

« Il importe que nous continuions à entendre et jouer cette musique. Il n’est pas vain de faire un autre disque, un autre cycle, car chaque interprétation raconte l’histoire de son époque. Enregistrer Chostakovitch dans les années 1970 et enregistrer Chostakovitch en 2019 et 2020, c’est différent, parce que le monde est différent, parce que nous sommes différents » explique Gianandrea Noseda dans le livret. Ces propos laconiques et convenus auraient gagné à nous en apprendre davantage sur la conception du chef italien. Du moins, à écouter ce concert, réciproquement, on se demande de quel monde elle parle, de quel point de vue elle s’exprime, et ce qu’elle peut nous dire de notre contemporanéité.

D’évidence, l’empreinte authentiquement vécue et communiquée par des chefs comme Carl Eliasberg, Evgueni Mravinski, Kiril Kondrachine (tous chez Melodiya) ou Karel Ancerl (Supraphon) vaut témoignage historique : l’ostinato de l’Allegretto s’y percevait aisément comme l’inéluctable gangrène de l’ennemi intérieur, la submersion des libertés ; le douloureux récitatif des cordes dans l’Adagio comme la rancœur prostrée sous l’accablement obsidional mais aussi le joug du totalitarisme stalinien. Ces lectures engagées ne sont bien sûr pas l’apanage contextuel d’un temps révolu et d’un genius loci, si l’on se réfère aux réussites modernes de Kiril Petrenko à Liverpool (Naxos) ou Dimitri Kitajenko à Cologne (Capriccio). Peu aidé par une prise de son fade et compacte, Gianandrea Noseda désamorce l’humour mahlérien du Moderato, aplatit le relief (tant physionomique qu’émotionnel) d’un Adagio en proie à la stagnation (même l’activation à 7’02 loupe son effet faute de motricité et d’envergure), escamote les saillies du Finale dont les moments de repli sombrent dans l’indifférence, malgré une conclusion tapageuse qui tente tardivement de convaincre. La tiède amorce de l’Allegretto nous avait certes préparés à cette prestation qui semble trop souvent survolée, jamais survoltée. Y compris la progression obstinée du vaste crescendo central, malgré un tempo soutenu voire constricteur, comme aspiré vers l’implosion (16’56) qui aurait mérité d’installer un surplomb en contrehaut des ruines.

Face à cette éloquence en berne, on a presque envie de se ruer sur la vision ultra-romantique de Leonard Bernstein à Chicago (DG, même si elle renchérit sur le pathos de l’œuvre), ou sur le reportage épique diligenté par Guennadi Rojdestvenski (Melodiya). Certes des approches dégraissées restent possibles et efficaces, à commencer par celle d’Arturo Toscanini (RCA), glabre et néanmoins asphyxiante, mais aussi Paavo Berglund, athlétique à Bournemouth (Emi). Si la piste néoclassique a pu inspirer cet enregistrement londonien, à supposer qu’elle convînt aux circonstances de l’œuvre, on préférera l’épure gravée par Rudolf Barshaï (Brilliant) : bien plus aboutie que l’exsangue neutralité de l’orchestre anglais, encore fossoyée par l’acoustique ingratement captée du Barbican Center, quasiment mutique dans les passages à faible dynamique et peu épanouie dans les fff. En SACD, on se fiera plutôt aux excellentes versions de Dimitri Kitajenko, et Paavo Järvi chez Pentatone. En l’occurrence, on espère que la suite de cette intégrale en cours rejoindra le niveau de la Symphonie no 10 qui nous avait précédemment comblés. 

Son : 6,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 6,5

Christophe Steyne

 

 

 



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