Justin Taylor et Rameau, une affaire de famille 

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La scène actuelle du clavecin est des plus dynamiques avec une affirmation de jeunes talents exceptionnels. Dans ce cadre, il faut saluer les albums du jeune Justin Taylor qui allient pertinence éditoriale et excellence musicale. Alors qu’il sort chez Alpha un enregistrement consacré à la famille Rameau, le jeune homme répond à nos questions.  

Votre nouvel album est placé sous le signe de la famille Rameau. Ce nouveau disque vient après un album consacré à la famille Forqueray. Qu’est-ce qui vous attire dans ces “affaires de famille” musicales ? 

Quand je travaille sur un nouveau projet, j'essaye de m'approcher le plus possible du compositeur : par une vision la plus large possible de ses œuvres bien sûr, mais aussi par une approche plus personnelle, en essayant de connaître l'homme derrière le compositeur, de rentrer dans son intimité. Les 300 ans qui nous séparent de l'époque baroque créent une distance : on a du mal à s'imaginer Rameau se lever, accorder son clavecin, jouer avec d'autres musiciens, noter une idée musicale qui prend forme... Ce portrait familial permet de replacer l'oeuvre de Rameau dans son contexte : le jeune Jean-Philippe qui apprend très tôt la musique avec son petit frère Claude, l'éducation musicale que le couple Rameau (sa femme, Marie-Louise Mangot, était musicienne et chanteuse) lègue à leur fils Claude-François et leur neveu Lazare... Tout cet arrière-plan familial et musical a fécondé l'inspiration de Rameau, et c'est ce qui m'a attiré dans cette Famille Rameau !

Si l’on connaît bien les œuvres de Jean-Philippe Rameau, les partitions de Claude-François Rameau et Lazare Rameau sont complètement méconnues. Quelles sont leurs particularités stylistiques ? 

Le Menuet Barosais de Claude Rameau (son frère) est intimement lié aux origines dijonnaises de la famille. Sur une place de Dijon se trouve une statue de « Bareuzai », vigneron qui portait des « bas rosés » (la couleur, pas le vin!). Aujourd'hui ce terme est un sobriquet que l'on donne aux vignerons de Dijon, c'est l'esprit de cette courte pièce extrait d'une cantatille !

La Forcray de Claude-François Rameau (fils de l'illustre compositeur) est une pièce virtuose et exaltée. C'est aussi le témoin de la popularité du genre de la « pièce-hommage ». En effet, durant l'époque baroque, ces hommages sont très fréquents : rappelons par exemple La Superbe ou La Forqueray composée par François Couperin, ou La Rameau composée par Forqueray. Ces hommages nous initient à l'univers du dédicataire. Ici, on découvre un Forqueray fougueux, espiègle, joueur !

Les sonates de Lazare Rameau ont été publiées en 1788 et sont très influencées par le nouveau style classique venu des pays germaniques. Ce Rondo Grazioso, tantôt Majeur, tantôt mineur, nous fait profiter de la fantaisie classique que l'on a peu souvent l'habitude d'entendre au clavecin.

Les pièces pour clavecin de Rameau, c’est un peu comme les sonates de Beethoven ou les symphonies de Mahler. Elles font partie du patrimoine musical au point que l’on en oublie leur importance dans leur époque. Qu’est-ce qu’elles apportent à l’art du clavecin ?

Rameau parvient à une synthèse inouïe entre le raffinement, la poésie, le soin du détail caractéristiques de l'école française de clavecin, et la dramaturgie narrative du drame opératique. Je pense par exemple à l'inventivité descriptive de La Poule, à l'utilisation de registres contrastés dans l'Allemande en mi, ou aux ruptures menées tambour battant des Cyclopes. Rameau développe également grandement la technique clavecinistique, avec par exemple l'utilisation obstinée des notes répétées dans la Gavotte et double, ou le foisonnement ornemental qui nous entraîne dans un tourbillon sonore dans L'Égyptienne et qui colore de manière unique la sonorité du clavecin.

Sur cet album vous proposez également des pièces de Jean-François Tapray : les Sauvages, thème et variation d’après Rameau. Rameau était donc un phénomène musical au point d’être repris de la sorte par ses collègues ?  

Inspirée par l'univers des foires et des spectacles donnés à la Comédie Italienne, la danse des Sauvages, d'abord composée pour clavecin, va connaître un immense succès et Rameau l'orchestrera quelques années plus tard dans ses Indes Galantes. Un vrai tube de l'époque ! Cette mélodie entraînante et entêtante a inspiré de nombreux compositeurs qui s'en sont servis comme thème pour des séries de variations : Jean-Pierre Guignon, Michel Corrette... et Jean-François Tapray, qui publie en 1770 cette série de 4 variations pour clavecin qui sont très brillantes.

Votre disque se clôt par l’hommage à Rameau de Debussy. Cette conclusion était-elle inévitable ? 

Pas du tout ! Rameau se suffit évidemment à lui-même ! Proposer un nouvel éclairage sur un répertoire connu est pour moi essentiel, et l'idée de réunir un clavecin historique et un Érard 1891 sur un même disque m'a beaucoup séduit. J'ai également la chance de jouer depuis mon plus jeune âge du clavecin et du piano. Cet Hommage à Rameau composé par Debussy s'est donc imposé tout naturellement : par son intérêt musical, pour le clin d'œil à mon parcours, ainsi que la filiation qu'il dessine entre baroque et impressionnisme français.

Pour cet album, vous jouez un clavecin français à deux claviers de la première moitié du XVIIIe siècle, attribué au facteur lyonnais Donzelague. Que pouvez-vous nous dire de cet instrument ? 

Avant de le connaître, j'avais beaucoup entendu parler de ce fameux « clavecin du château d'Assas ». J'avais vraiment hâte de le découvrir ! Ce clavecin exceptionnel, compagnon musical de Scott Ross et de nombreux autres clavecinistes, date des années 1730. C'est sans conteste l'un des clavecins français les plus remarquables que je connaisse. Je me rappelle de chaque seconde de cette rencontre. Ce son si personnel, envoûtant, m'a marqué pour toujours et quelle émotion rare et précieuse de poser mes doigts sur un clavier que Rameau a peut-être joué !

Le site de Justin Taylor : www.justintaylorharpsichord.com

  • A écouter :

La Famille Rameau, Oeuvres de Oeuvres de Jean-Philippe Rameau, Jean-François Tapray, Claude-François Rameau, Lazare Rameau, Claude Debussy. Justin Taylor. 1 CD Alpha. Alpha 721. https://lnk.to/LaFamilleRameau_TaylorID

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Victor Toussaint

 

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