Keith Jarrett et François Mardirossian, retrouvaille sans précédent

par https://www.crescendo-magazine.be/dating-platforms-for-sale/

Ritual et Encores. Keith Jarrett (1945-). François Mardirossian. 57’30". 2025. Livret : français, anglais. Ad Vitam Records. AV 241130.

Si internet n’avait pas envahi nos vies de ses informations en cascade, de ses documents improbables (la toile s’archive elle-même ; on y trouve de tout – et même ce qui a disparu), François Mardirossian porterait une blouse grise et un casque à lampe (de mineur), pas de gants mais un mouchoir à éternuer (il y a jusqu’à 19.000 acariens pour un gramme de poussière) et fuirait le soleil (de Montpellier) pour les caves fraîches abritant journaux anciens, revues disparates, objets contigus, musique oubliée. L’hyper-réseau permet de rester à l’air libre et ce sont les doigts sur un clavier (d’ordinateur) que le musicien-fouineur met la main sur Ritual, une partition de Keith Jarrett, datant d’une année avant l’enregistrement du Köln Concert à l’opéra de Cologne le 24 janvier 1975. Autant cette pièce établit l’assise du compositeur américain, autant Ritual (qu’il n’a jamais joué lui-même en public) reste dans les limbes, même après que Dennis Russell Davies, son dédicataire, l’enregistre en 1977 et qu’ECM la publie cinq ans plus tard – au point que la partition elle-même devient introuvable (sauf, finalement, pour un jeune pianiste en cache-poussière).

Avec Le Concert à Cologne, Jarrett se bâtit une réputation d’improvisateur libre, lui qui met ensemble musique classique – il sort du conservatoire –, jazz ou gospel (en soi, une bonne façon de se faire rejeter par les puristes de chaque bord) et mêle minimalisme, jeu rythmique, motifs répétitifs et hypnotiques dans une interprétation où perce une spiritualité flirtant avec le mystique (il est fan de George Gurdjieff, personnage entre mage, philosophe et gourou, guide pour Pierre Schaeffer, René Barjavel ou Louis Pauwels) – je l’écoute en boucle à l’adolescence. Ritual, lui, est entièrement écrit : trente minutes sans reprendre son souffle à partir d’un motif simple, une structure cyclique, une sensibilité et une ferveur propice aux élans – autant d’opportunités pour le doigté souple et élégant de François Mardirossian.

Lumineux et apaisé comme un rêve hors du temps en compagnie de Claude Debussy, My Song charme par sa mélodie, quand la Fughata For Harpsichord est une révérence que Jarrett tire à Bach – à une période où l’américain s’ouvre au répertoire classique et enregistre aussi bien Mozart, Haendel que Chostakovitch. Avec Brussels Encore, le pianiste s’octroie un plaisir proustien, qui se remémore le bis du concert bruxellois de 2015 auquel il assiste (il vit et étudie à Bruxelles avant de partir vers la Méditerranée), tandis que Tokyo Encore, de 1976, fait partie d’une série de cinq concerts japonais publiés alors sur dix Long Playing, somme d’un éclectisme à la fois reconnaissant du passé et anticipateur de l’avenir – pas étonnant que Mardirossian rencontre Jarrett, lui qui saute d’Erik Satie à Moondog en passant par Dominique Lawalrée, John Cage ou Harold Budd.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

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