Superbe Exposition « Ravel Bolero »
Le Bolero ? - « L’arbre qui cache la forêt »... c’est ainsi que le commissaire de l’exposition, Pierre Corzilius présente la manifestation organisée par la Philharmonie de Paris à l’occasion des 150 ans de la naissance du compositeur.
Ce « crescendo orchestral », ballet d’un quart d’heure à peine, célébré et joué sous toutes les latitudes dès sa création en 1928, est abordé d’abord sous une forme très concrète -films, reconstitutions, portraits, objets- pour s’achever devant la petite vitrine contenant l’un des manuscrits autographes, prêté par la B.N.F., griffé de quelques mesures au crayon... quintessence de l’abstraction !
Dès l’entrée, l’extrait du film Ravel en 3 temps plonge le visiteur dans un bain de sons et d‘images. Plans rapprochés ou panoramiques, mouvements de spirales : les réalisateurs François-René Martin et Gordon installent une perception vertigineuse voire « cosmique » (sic) du chef d’oeuvre. La caisse claire constitue un noyau autour duquel gravitent les pupitres de l’Orchestre de Paris, chacun d’eux associé à une couleur.
Le procédé est repris par le schéma de Lucie Kayas, directrice du catalogue : la progression étant projetée cette fois à plat, en strates autour d’un axe ; l’étude est complétée par les écrits de Claude Lévi-Strauss.
Un parcours en étoile développe ensuite son arborescence. Axé sur des éléments topographiques (Maison de Montfort- l’Amaury, Pays basque, Espagne, Usine) autant que biographiques, il s’enrichit de pièces, pour certaines rarissimes, d’autres jamais vues et, toutes à redécouvrir, grâce à une mise en valeur aussi pertinente qu’attractive (bureau, photos, jeux, malle de voyage).
Des correspondances les mettent en perspective ; aux jouets, dessins de costumes (Paul Colin), portraits familiaux, répond ainsi la délicatesse des lithographies d’Odilon Redon accrochées face à face.
L’Espagne se prête au déploiement d’une spectaculaire série de costumes -ceux d’Ida Rubinstein, l’excentrique commanditaire, ou ceux dessinés par Leyritz, encadrant le portrait de « Lola de Valence » par Edouard Manet. Enfin, dans l’espace intitulé « l’Usine Bolero », les croquis des inventions de Ravel-père retrouvés dans un carton (on aimerait en savoir plus !) impressionnent par leur précision.
Mille détails mis en lumière se découvrent ; toutefois le sentiment d’étrangeté qui saisit le visiteur du Belvédère s’est nécessairement évaporé invitant à se rendre plus tard à Montfort-l’Amaury.
Quelques amis sont restés dans l’ombre dont le si attentionné Maurice Delage ainsi que d’autres éléments : l’importance de Saint-Jean-de-Luz ou la corrélation entre la progression de la maladie neurologique et les séquelles post-traumatiques de la Grande Guerre désormais scientifiquement bien documentées.
L’exposition laisse également le champ libre à d’autres rapprochements : rapport avec l’ensemble des œuvres (La Valse par exemple), avec le projet de Danse grotesque Fandango destiné au Portrait de l’Infante pour Sonia Pavlov ou encore avec ses prédécesseurs et contemporains -citons au hasard les valses de Johann Strauss qui hantèrent Ravel dès ses premiers bals (Accelerationnen, Feuerfest), l’« Entrée des Cyclopes et Air des Forgerons » de Lully (Acte II, Psyché), « tout » Stravinsky, le Pas d’acier etc…

Les éditions de La Martinière publient un catalogue aussi complet que précis. Il est accompagné de commentaires souvent éclairants -« Cine-Bolero », « Les manuscrits du Bolero » jusqu’à l « Affaire des droits d’auteur »-, parfois contradictoires. Ainsi, l’auteur du texte «le Bolero et la transe » associe ce dernier au bercement intra-utérin, au regret de la complétude fœtale et au deuil maternel : une logique de régression totalement antinomique du Bolero -l’immense crescendo supposant au contraire un unique mouvement de propulsion, d’expansion. Ravel chérissait le terme d’ « Apothéose » justement repris par Sylvie Guillem dans son article « Quitte ou double ». L’expression désigne l’accès au divin, la transcendance.
Grâce à ce parcours muséographique remarquablement documenté, pensé et séduisant, les fervents admirateurs de Ravel seront comblés au-delà de leurs attentes, les autres émus et charmés.
Bénédicte Palaux Simonnet