La Belle Hélène dans les visées de la mission « beauté fatale » à Nancy

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Chaque production de La Belle Hélène est si attendue par les amoureux de Jacques Offenbach qu'elle représente un défi pour tout metteur en scène. Comment présenter cette opérette archi-connue sans tomber dans la banalité ou la vulgarité, tout en proposant une lecture neuve et amusante ? La parti pris de Bruno Ravella à l’Opéra National de Lorraine (jusqu'au 23 décembre) est de jouer avec la surperficialité, l’hypocrisie d’un pouvoir déconnecté de la réalité et qui cultive sa futilité, en s'appuyant sur des situations identifiables pour le public d’aujourd’hui.

Pâris l’agent secret s’infiltre dans le monde de richesse illusoire

Pour celà, il peut placer l’intrigue dans le milieu du show biz, de la télévision et du cinéma. Et Bruno Ravella concocte un univers qui mêle l’imaginaire des films de James Bond, OSS117, Tintin et les jeux télévisés sous le rire d’Offenbach. La mission « Beauté fatale », hautement politique et confiée à l’agent secret Pâris, est clairement évoquée dès l’Ouverture où il reçoit le document dans un bureau de son chef. A Sparte, un état très militarisé (les danseurs en sont les soldats, en uniforme du type CRS au motif camouflage mais de couleur rouge-orange), les membres du gouvernement s’appellent Ménélas, Agamemnon, Calchas, Achille ou Ajax I et II et portent la tenue militaire de style Louis-Philippe ou Napoléon III avec couronnes ou plumeaux ostentatoires. L’anachronisme fait légion sans gêner personne puisque cela a toujours été un élément majeur chez Offenbach. Hélène, mélange de Grace Kelly, Eva Peron et Brigitte Bardot, est un symbole de beauté moderne. Dans ce pays où les dirigeants se livrent à des distractions démesurés dans un casino du bord de mer, tanks et avions de chasse viennent compléter un tableau joyeusement menaçant. L'entourage de cette société superficielle est … superficiel, issu de personnages (fictifs) de télé-réalité et servent les gouverneurs, à l’image de Bacchis qui incarne celle qui fait fortune avec son «Allo ?» ou de Parthoénis et Léoena, rolleuses sexy en short et décolleté. Le texte parlé est réécrit avec les références évocatrices des héros et héroïnes de la télévision.
Outre cette idée, la réussite de Bruno Ravella réside dans le subtile dosage des éléments savamment insérés ça et là. Ils rendent fluides la musique et le déroulement de l’intrigue, avec la complicité parfaite de Giles Cadle (décors), Gabrielle Dalton (costumes), Malcolm Rippeth (lumières) et Philippe Giraudeau (chorégraphie).

Réjouissant plateau vocal

Le rôle de Pâris est tenu par Philippe Talbot qui a déjà largement fait ses preuves en chanteur-comédien. Son beau timbre lumineux s’envole plus d’une fois dans un monde (vocal) un peu surréaliste pour séduire la fille de Léda et du cygne. C’est la mezzo-soprano canadienne Mireille Lebel qui incarne la plus belle femme du monde. Si, au premier acte, son débit "parlé" n’est pas toujours suffisant (surtout face à des chanteurs comme Eric Huchet, Boris Grappe ou Franck Leguérinel) et son rythme peu fluide, elle gagne progressivement de l'assurance et, à la fin, la salle est largement conquise par sa belle voix boisée et son jeu mêlant glamour et comique. Chez les rois, on ne présente plus le double talent de chanteur et de comédien d’Eric Huchet et de Franck Leguérinel. Ils sont naturellement drôles, portés par l'art de la diction impeccable, en experts du chant français. Le baryton Boris Grappe, alias Calchas, est particulièrement remarquable pour son implication dans le rôle, utilisant efficacement sa capacité lyrique au service de la bouffonnerie. En Oreste, la mezzo-soprano Yete Queiroz fait partie de celles que l’on espère entendre dans un rôle plus conséquent. Raphaël Brémard joue à fond Achille idiot dans le jeu de l’oie, Sarah Defrise campe Bacchis, exagérément ridicule. Les « petits rôles » tels queles deux Ajax (Christophe Poncet de Solages et Virgile Frannais), Parthoénis (Léonie Renaud) ou encore Léoena (Elisabeth Gillming) se sont tous emparés du caractère décalé de leur personnage pour constituer plateau extrêmement réjouissant.

Formidable travail orchestral de Laurent Campellone

Cet épisode de la mythologie grecque passé par le filtre enjoué de Meilhac et Halévy -et de notre metteur en scène- doit être vigoureusement soutenu par un orchestre intelligemment mené pour ne pas alourdir la belle musique d’Offenbach. La tension constante est maintenue par Laurent Campellone et son merveilleux travail sur le tempo qui sort vraiment de la banalité. Chaque air-clé est modulé selon la prosodie ou le caractère du texte, quitte à accélérer ou ralentir à vue d’œil (ou plutôt d’oreille) dans un même phrasé. Mais chaque variation est si minutieusement étudiée que, non seulement cela ne choque jamais mais, au contraire, on découvre sous un angle tout nouveau une musique entendue mille fois. L’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy répond délicieusement à sa baguette et le chœur de l’Opéra national de Lorraine, préparé par Merion Powell, complète l’équipe vocale avec une puissance discrète.

Crédits photographiques © C2images pour Opéra national de Lorraine

Victoria Okada

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