A Lausanne, le Werther de Jean-François Borras  

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Pour achever sa magnifique saison 2021-2022, l’Opéra de Lausanne affiche Werther, l’un des ouvrages majeurs de Jules Massenet. Et son directeur, Eric Vigié, a la judicieuse idée de faire appel au ténor Jean-François Borras qui a laissé ici un mémorable souvenir en incarnant Hoffmann à la fin septembre 2019. Son incarnation du rôle-titre est impressionnante par sa musicalité parfaite qui allie un art du phrasé magistral à une diction minutieusement travaillée, vous prenant à la gorge dès les premiers vers « Je ne sais si je veille ou si je rêve encore » qui débouche sur le monologue « Ô nature pleine de grâce » jouant sur les effets de clair-obscur. Christian Lacroix l’habille d’un noir qui masque sa corpulence et lui confère cette retenue distante qui l’isole dans son infortune. Mais son regard habité laisse affleurer cette hypersensibilité qui emporte dans un élan irrépressible l’exaltation de « Lorsque l’enfant revient d’un voyage avant l’heure » ou le célèbre lied d’Ossian culminant sur les la dièse aigus en fortissimo. Le dénouement paraît moins convaincant avec ce rêve éveillé lui faisant relire son existence avant le coup de feu fatal qui éclate au moment où tombe le rideau.

En ce qui concerne cet étrange final où Charlotte presque crucifiée est saisie à bras le corps par son mari qui l’empêche d’approcher celui qu’elle aime, il faut mettre en cause la mise en scène de Vincent Boussard qui demande à son décorateur Vincent Lemaire de concevoir de hautes parois où l’on projette les paysages vidéo de Nicolas Hurtevent. Sous de froides lumières dues à Nicolas Gilli, s’impose un univers clos qui se resserre autour d’un ‘ménage à trois’ Werther-Charlotte-Albert. Néanmoins, l’image du train électrique serpentant le long du mur en suscitant la convoitise des enfants du Bailli grimés et moustachus glisse une note comique qui se voilera d’étrangeté avec leur réapparition en chemise de nuit comme s’ils étaient les fantômes du clair de lune. Mais l’on reste interloqué face à cette Sophie vêtue d’un orange criard qui se cache derrière un énorme bouquet avant de s’ingénier à planter chaque fleur dans un semis récalcitrant. Tout aussi incongrue, la scène des lettres avec ses sol bémol 4 fortissimo que la pauvre Charlotte doit émettre alors qu’elle est prostrée sous le piano à queue. Et ô combien pénible, ce rideau de scène qui, sempiternellement, s’abaisse et se relève, morcelant l’action en clichés, ce que contredit avec véhémence le flux orchestral, incandescent comme la lave en fusion, produit par la baguette de Laurent Campellone qui magnifie l’écriture de Massenet : du riche tissu confectionné par l’Orchestre de Chambre de Lausanne, il tire un lyrisme généreux qui frise l’emphase dans le Prélude au premier acte mais qui s’irise de fines demi-teintes dans le nostalgique clair de lune. Sans trêve, la passion nourrit ce discours qui ose les ruptures de ton jusqu’à la catharsis finale. 

Sur scène, le chef a une Charlotte jeune, Héloïse Mas, qui joue le tout pour le tout en poussant son mezzo charnu jusqu’aux extrêmes limites afin d’exhiber au grand jour son intolérable souffrance, quitte à laisse couler de douces larmes devant la Sophie de Marie Lys, ingénue touchante qui semble retrouver la vivacité juvénile dont était dépourvue sa récente Morgana d’Alcina. Le jeune baryton russe Mikhail Timoshenko dessine un Albert dignement retenu mais qui se veut rassurant par son omniprésence protectrice, dimension innovante dans un rôle d’habitude sacrifié. Le Bailli de Vincent Le Texier frise le ridicule en s’agitant démesurément devant des enfants sortis de l’Ecole de Musique de Lausanne, impeccablement préparés par Catherine Fender, qui n’y prêtent aucune attention. Comme toujours, nous font sourire le Johann d’Aslam Safla et le Schmidt de Maxence Biliemaz, prenant à partie tant le Bailli que le Brühlmann d’Etienne Anker, flanqué de la Kätchen de Clémentine Bouteille. Donc en résumé, un Werther où la musique prend la place d’honneur !

Paul-André Demierre

Lausanne, Opéra, première du 15 mai 2022

Crédits photographiques : Jean-Guy Python

 

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