Trois figures du piano polonais de la première moitié du XIXe siècle

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Franciszek Lessel (1780-1838) : Polonaise nouvelle en ré majeur ; Variations en la mineur op. 15 n° 1 et n° 2. Karol Kurpiński (1785-1857) : Polonaise en la mineur ; Variations en do majeur ; Fugue et Coda sur le thème du chant des légions polonaises en Italie « La Pologne n’a pas encore péri » ; Pot-Pourri ou Variations sur divers thèmes nationaux composés au pianoforte à l’occasion des sept ans de Józef Krogulski. Józef Elsner (1769-1854) : Sonate n° 2 en ré majeur ; Polonaise en fa mineur ; Rondo à la mazurek en sol mineur. Tomasz Lupa, piano. 2020. Notice en polonais et en anglais. 73.32. Dux 1784.

Amateurs de raretés pianistiques, cet album vous est destiné en priorité ! Il permet d’entrer dans l’univers de trois créateurs dont les noms ne sont guère évocateurs, si ce n’est dans leur pays natal, et dont la maturité compositionnelle s’inscrit dans la première moitié du XIXe siècle. Le programme choisi illustre les années 1798 à 1825. Le premier compositeur par ordre chronologique est Józef Elsner, qui se dirigea d’abord vers la théologie et la médecine qu’il étudia à Breslau puis à Vienne, tout en pratiquant le chant et le violon, avant de se consacrer complètement à la musique. Après une courte carrière de konzertmeister, il devint directeur de l’Opéra de Varsovie pour un quart de siècle et fonda ce qui allait devenir le futur Conservatoire. Parmi ses élèves figure Frédéric Chopin, auquel il a enseigné l’harmonie et la théorie. Le catalogue d’Elsner comprend une série d’opéras, des œuvres symphoniques ou chorales, de la musique de chambre, des messes ou oratorios, ainsi que des pièces pour le piano. Trois d’entre elles sont ici proposées. La Sonate n° 2, qui semble dater de 1798, est en deux mouvements, le second étant formé d’un Andantino mélancolique qui précède un rythme de mazurka. Une Polonaise et un Rondo, tous deux de 1803, bénéficient de belles envolées. Ces vingt minutes d’une musique qui se situe dans une perspective préromantique créent l’envie de mieux connaître ce compositeur qui a fait l’objet de gravures, essentiellement polonaises, notamment une symphonie et des ouvertures d’opéra parues sous la même étiquette Dux en 2010.

Franciszek Lessel est né une dizaine d’années après Elsner. Comme ce dernier, il a été tenté par la médecine, étudiée à Vienne, mais c’est un diplôme en architecture qu’il obtiendra. Sa rencontre avec Joseph Haydn va changer son destin : il devient son élève et bientôt l’un de ses intimes. Il rencontre aussi Muzio Clementi, auquel il dédie une fantaisie, et sans doute Johann Nepomuk Hummel. Il retourne en Pologne après le décès de Haydn, enseigne et compose. Reconnu comme un excellent pianiste dès sa période viennoise, il confirme son talent lors de la création à Varsovie en 1810 de son deuxième Concerto pour piano, dans la ligne de Mozart et de Beethoven, que Howard Shelley a enregistré (label de l’Institut Chopin, 2012). Son élégante Polonaise nouvelle de de 1821 ouvre le programme de l’album. On trouve aussi deux séries de mini-variations légères, rassemblées dans l’opus 15, qui datent sans doute de 1817. Si les huit premières empruntent leur thème à une dumka, les six suivantes sont inspirées de façon large par le folklore ukrainien. 

Né cinq ans après Lessel, Karol Kurpiński, organiste et violoniste, est devenu premier chef de l’Opéra de Varsovie pour une quinzaine d’années, entre 1825 et 1840. Pédagogue apprécié, fondateur de la première revue musicale polonaise, il est considéré comme l’un des éléments fondamentaux de l’école romantique de son pays. Auteur de plus de vingt opéras, il a aussi composé des pages symphoniques et religieuses, ainsi que de la musique de chambre et instrumentale. Parmi les quatre œuvres à l’affiche, trois ont été écrites dans les années 1820, dont une brillante Polonaise. On s’attardera sur la Fugue et Coda de 1821 d’après un chant populaire quelque peu triomphant qui deviendra un siècle plus tard l’hymne polonais, mais encore plus sur le Pot-Pourri de 1825 qui reprend lui aussi des thèmes nationaux. Cette partition, publiée en 1825, d’une quinzaine de minutes et en cinq mouvements parmi lesquels on relève dumka, krakowiak et mazur, a été écrite à l’intention de celui que l’on a appelé « le Mozart polonais », Józef Krogulski (1815-1842). C’est à l’occasion de ses sept ans que ce brillant enfant prodige, élève du compositeur, s’est vu dédier cette œuvre pour virtuose basée sur des airs populaires ; on peut en mesurer le caractère ostentatoire, qui fait penser que les talents de Krogulski, mort si jeune, étaient tôt présents. 

Le pianiste polonais Tomasz Lupa (°1977) a étudié à l’Académie Karol Szymanowski de Cracovie. Il s’est perfectionné à Milan au début de notre siècle dans le domaine des instruments historiques. De retour dans son pays natal, il a rejoint l’Institut Chopin de Varsovie où il est devenu assistant au département pour le piano, le clavecin et l’orgue, et a obtenu son doctorat en 2012. Il a ensuite enseigné pendant deux périodes différentes en Corée du Sud. Il est titulaire de récompenses dans quelques concours internationaux. Sauf erreur, le présent album, dont il signe aussi la notice, est son premier enregistrement. Son programme est bien conçu, avec des alternances de pages des trois compositeurs qui mettent en valeur leur inventivité, dans le prolongement de l’ère classique, mais déjà ancrée dans le romantisme naissant. On sent que Lupa aime ces pièces qui procurent un plaisir d’écoute non négligeable et montrent que le terrain de l’époque était bien préparé pour que s’épanouisse la personnalité d’un certain Chopin qui allait bientôt mettre tous les autres créateurs polonais dans son ombre. Lupa souligne les contrastes et les couleurs dans un geste qui est à la fois équilibré et nuancé. L’enregistrement a été effectué en deux sessions, en octobre 2019, puis en octobre 2020. Les mélomanes qui souhaitent approfondir ces trois compositeurs trouveront dans le catalogue Dux des albums consacrés à chacun d’entre eux. 

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

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