La clarinette de Maria Du Toit au service de douze compositrices
She/Her. Œuvres de: Clémence de Grandval (1828-1907), Marie-Elisabeth von Sachsen-Meiningen (1853-1923), Germaine Tailleferre (1892-1983), Ivy Priaulx Rainier (1903-1986), Grazyna Bacewicz (1909-1969), Sarah Feigin (1928-2011), Ida Gotkowsky (°1933), Francine Aubin (1938-2016), Barbara Woolf (°1958), Theresa Martin (°1979), Lise Morrisson (°1988) et Grace Oforka (°1993), Maria Du Toit, clarinette ; Vera Kooper, piano. 2023. Notice en anglais. 73’ 05’’. Channel CCS 47024.
La clarinettiste sud-africaine Maria Du Toit (°1977) a étudié dans la cité portuaire du Cap, avant de poursuivre sa formation à la Manhattan School of Music de New York, au Conservatoire d’Utrecht et à l’Académie de musique de Sofia. Elle a remporté divers concours et est devenue clarinettiste principale du Cape Town Philharmonic Orchestra pendant treize ans, tout en se produisant souvent comme soliste et en musique de chambre. Elle s’est installée en Europe, plus précisément aux Pays-Bas. C’est à Hilversum que le présent album a été enregistré en novembre 2023, avec la pianiste hollandaise Vera Kooper (°1988). Le parcours de cette dernière passe par le Conservatoire de la Haye, avant l’Université Mozarteum de Salzbourg. Elle a cofondé le Delta Piano Trio, avec lequel elle a gravé des albums pour Challenge Records ou Odradek, label pour lequel elle a aussi joué en solo un programme Beethoven/Corigliano. De son côté, Maria du Toit a enregistré, pour le label sud-africain TwoPianists Records l’intégrale des concertos de Louis Spohr, et un récital de pages variées de compositeurs méconnus, avec la pianiste Nina Schumann.
Pour le présent album, dédié aux compositrices, le duo Du Toit/Kooper a choisi la carte de la sensibilité et de l’expressivité, à travers un panorama qui va de la période romantique à nos jours, entremêlant les époques et les personnalités, souvent méconnues. Treize œuvres constituent le programme, dont la majorité sont de courte durée. La plus étoffée Suite pour clarinette et pianoforte d’Ivy Priaulx Rainier, que Maria Du Toit a jouée au cours de ses études au Cap, est en tête d’affiche. Cette compositrice anglo-sud-africaine a vécu la plus grande partie de sa vie au Royaume-Uni. À la fois rythmée et marquée par des accents nostalgiques, sa suite, influencée par la musique africaine, révèle un échange complice de quatorze minutes entre les deux instruments, en particulier dans un Spiritoso éthéré. Autre partition de moyenne durée (onze minutes), Solstice, de l’Américaine Theresa Martin, s’attarde en fin de programme aux sensations de la créatrice lors de la naissance de sa fille, en juin 2013. Comme une ode à la joie ressentie par l’événement, on y trouve, en quatre mouvements, des éléments de délicatesse, de rêverie ou de danse évoquant le monde gaélique.
Deux compositrices représentent le XIXe siècle. La vicomtesse française Clémence de Grandval, formée par Frederic von Flotow et Saint-Saëns, bénéficia aussi de quelques leçons de Chopin. Ses Deux Pièces pour clarinette et piano (1881), sont imprégnées de recueillement (Invocation) et d’élégance dansée (Air slave). D’une autre aristocrate, la princesse allemande Marie Elisabeth von Sachsen-Meiningen, influencée par les leçons de piano de Brahms, on savoure une éloquente Romance destinée à Richard Mühlfeld, pour lequel le natif de Hambourg écrivit ses œuvres pour clarinette. Pour le XXe siècle, la Française Germaine Tailleferre, qui fit partie du Groupe des Six, dessine une harmonieuse Arabesque, la Polonaise Grazyna Bacewicz un Caprice inspiré du folklore de son pays, à la fois lyrique et rythmé, la Lettonne Sarah Feigin, qui vécut en Israël, une Fantaisie aux accents de musique klezmer, passionnés et contrastés, et une autre Française, Francine Aubin, deux pages inspirées par la douceur d’un paysage (Un soir à Montfort-l’Amaury) ou par l’éblouissement d’une Fioretti di Francesco.
Quatre compositrices encore en activité complètent cette affiche éclectique. La Française Ida Gotkovsky, qui a étudié avec Nadia Boulanger, évoque deux Images de Norvège, douce puis fantasque. Barbara Woof s’intéresse, dans un espace accéléré qui s’intitule Dervish (1995), à cet univers tournoyant. La Sud-Africaine Lise Morrisson combine dans Fallout (2014) la tradition et les effets du jazz, et la Nigériane Grace Oforka, connue aussi sous le nom de Graciedion, fait penser, dans Olorun Mi, à une prière pour la pluie, avec ses éléments en staccato. Son morceau, et celui de Woof, sont destinés à la clarinette en solo.
La belle complicité entre Maria Du Toit et Vera Kooper trouve ici un terrain propice pour un éventail de pièces agréables, que les deux artistes mettent en évidence dans un contexte chaleureux.
Son : 8,5 Notice : 10 Répertoire : 8 Interprétation : 9
Jean Lacroix