La vénéneuse Tragédie florentine de Zemlinsky

par

Alexander von Zemlinsky (1871-1942) : Eine florentinische Tragödie. Nikolai Schukoff, ténor  ; John Lundgren, baryton ; Aušrinė Stundytė, soprano. Nederlands Philharmonisch Orkest, direction : Marc Albrecht.2024. Textes de présentation en anglais et allemand. 54’27’’. Pentatone PTC 5186 739

Compositeur et chef-d’orchestre remarquable, pédagogue reconnu (il fut le principal professeur de l’enfant prodige Erich Wolfgang Korngold et le seul de Schönberg, qui épousa sa soeur Mathilde), esprit cultivé et curieux, Alexander von Zemlinsky continue d’être très injustement vu comme une figure marginale, voire secondaire dans l’univers de la musique post-romantique. Petit et laid, mais spirituel et séduisant -il entretint une liaison avec Alma Schindler qui le quitta pour Gustav Mahler- il s’intéressa aux passions humaines dont bien sûr l’amour et la sexualité, ce qui n’étonne guère de la part d’un contemporain viennois de Freud. Dans sa musique, Zemlinsky prend volontiers parti pour d’improbables anti-héros paradoxalement investis de grandes qualités humaines, comme le malheureux protagoniste du cruel Der Zwerg (Le Nain) de 1921 d’après l’ « Anniversaire de l’infante » d’Oscar Wilde.

Mais en 1917 déjà, Zemlinsky avait composé un premier opéra en un acte également, Eine florentinische Tragödie (Une tragédie florentine) d’après la pièce inachevée du même nom de Wilde, très bien traduite en allemand par Max Meyerfeld.

L’intrigue en est assez simple : Rentré à l’improviste d’un voyage d’affaires, le riche marchand d’étoffes Simone trouve chez lui sa femme Bianca et l’amant de celle-ci, Guido Bardi, prince de Florence. Dans un premier temps, il simule l’indifférence et feint de ne voir en Guido qu’un amateur de belles choses venu lui acheter des tissus de prix. A la question de savoir ce qui l’intéresse, Guido répond sans détours que c’est Bianca. La température des échanges entre les deux hommes monte et on passe des affrontements verbaux de plus en plus violents à un duel remporté par Simone qui étrangle son rival. Ayant dans un premier temps encouragé son amant, Bianca conçoit à nouveau une passion pour le mari vainqueur. 

On aura compris que le triangle amoureux qui sert si souvent de ressort à la comédie aigre-douce voire au vaudeville soutient ici une intrigue qui va passer du doux-amer et de la raillerie (Simone comprend d’autant plus rapidement son malheur que Guido n’en fait pas mystère) avant d’en arriver à l’affrontement d’abord à l’épée, puis au poignard et enfin à mains nues des rivaux qui débouche sur la mort du prince de Florence, sans parler de l’étonnante volte-face de Bianca qui, après avoir encouragé son amant, voit la flamme de son amour pour son mari ravivée dans une morbide extase érotique. 

La façon dont Zemlinsky traite le texte de Wilde dans un langage très proche de Richard Strauss et du Schönberg première période (Wagner et Mahler ne sont pas loin non plus) est remarquable tant par le recours à une tonalité menée à l’extrême que par un sens du théâtre qui permet de tout dire en moins d’une heure. 

La description du malaise qu’instaure cet étouffant huis clos chargé de soupçons et d’une puissante charge d’étouffant érotisme est magistrale, et d’autant plus réussie que Zemlinsky sait alterner tension et moments de tendresse, comme ce beau duo d’amour entre Bianca et Guido.

Tous les protagonistes de ce bel enregistrement servent magnifiquement l’oeuvre (enregistrée sur le vif lors de représentations données à Amsterdam en 2017 déjà), à commencer par le chef Marc Albrecht qui domine superbement une partition loin d’être aisée et dont il gère parfaitement le flux dramatique. La distribution est dominée par le John Lundgren qui met son baryton sombre au service d’un Simone d’abord humilié puis vainqueur. Le ténor Nikolai Schukoff est un Guido de belle tenue, même si on aurait pu lui souhaiter plus de tranchant. Le soprano d’Aušrinė Stundytė n’est peut-être pas le plus séduisant qui soit, mais elle se tire fort bien d’affaire dans ce rôle assez ingrat de femme indécise et un peu écervelée. 

Les notes du livret de Kasper van Kooten sont des plus intéressantes, mais il est curieux qu’alors que chacun des membres de l’orchestre se voit mentionné, rien n’est dit du chef et des protagonistes vocaux. 

Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 9

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