La crème du chant contemporain dans un opéra majeur
Hector BERLIOZ
(1803 - 1869)
Les Troyens
Marie-Nicole LEMIEUX (Cassandre), Joyce DiDonato (Didon), Michael SPYRES (Enée), Stéphane DEGOUT (Chorèbe), Philippe SLY (Panthée), Nicolas COURJAL (Narbal), Cyrille DUBOIS (Iopas), Mariane CREBASSA (Ascagne), Hanna HIPP (Anna), Stanislas de BARBEYRAC (Hylas, Hélénus), Jean TEITGEN (Mercure, l'Ombre d'Hector), Solistes, Les Choeurs de l'Opéra national du Rhin, Badischer Staatsopernchor, Choeur philharmonique de Strasbourg, Orchestre philharmonique de Strasbourg, dir.: John NELSON
2017- Live - 4CD : 59' 25'' (acte I), 71' 50'' (actes II et III), 53' 11'' (acte IV) et 50' 34'' (acte V), 1 DVD : 85' - Textes de présentation en français, anglais et allemand - Livret en français et en anglais - chanté en français - Erato 0190295762209
Avec Shakespeare, Virgile était le dieu de Berlioz. Toute sa vie, il a porté en lui ce projet d'opéra sur l'Enéide. Entamée en 1851, la partition a été achevée en 1858. La seconde partie, Les Troyens à Carthage (actes III, IV et V) fut montée au Théâtre-Lyrique en 1863, la première, La Prise de Troie (actes I et II), jamais du vivant de l'auteur. Il aura fallu attendre 1890 pour entendre la version intégrale, en... Allemagne. L'oeuvre fait actuellement partie du répertoire, et on la représente sur les plus grandes scènes du monde. L'amour du classicisme instille, dans l'âme romantique de Berlioz, une ferveur grandiose, qui lui inspirera un chef-d'oeuvre unique, en même temps fascinant et émouvant, au gré des tableaux successifs. Colin Davis en a enregistré deux versions, la première en 1969, qui laissa le mélomane pantois, avant tout pour la découverte de l'oeuvre, à l'époque méconnue, puis par l'interprétation charismatique de Jon Vickers. La seconde, un live de 2000 à Londres, avec Ben Heppner, sera aussi une réussite, même si elle ne bénéficiera plus de l'effet de surprise. Suivront Dutoit, Albrecht, Cambreling, puis plusieurs DVD (Gardiner, Levine, Gergiev, Pappano). Les Troyens deviennent presque un "tube". Que dire de cette nouvelle version CD, provenant d'un concert live à Strasbourg en avril 2017 ? Avant tout, elle rassemble le gratin du chant opératique actuel. Enregistrer un opéra très long avec Michael Spyres, Stéphane Degout, Joyce DiDonata et Marie-Nicole Lemieux : qui dit mieux ? Voilà le genre de réalisation dont les générations futures pourront dire : "Tel était le chant dans les années 2017 !" Dès son entrée "Reine, je suis Enée", jusqu'à son déchirant air "Inutiles regrets", Michael Spyres est Enée ; plus encore : il l'incarne totalement. Fou amoureux de Didon, il parvient à se détacher d'elle pour partir accomplir sa mission. Son finale de l'acte III, est parfait ("D'autres t'enseigneront, enfant, l'art d'être heureux"), tout comme son air de départ, dans sa phrase magnifique "Pour la mort des héros, je te suis infidèle". La Didon de Joyce DiDonato se caractérise par une prosodie impeccable, au service d'un sens dramatique idéal. La scène finale, sur le bûcher, émeut profondément, jusqu'à l'exclamation annonçant Hannibal. Aux deux premiers actes, Marie-Nicole Lemieux impressionne dans "Malheureux roi", et surtout dans l'apocalyptique scène finale de l'acte II, et le fanatisme de sa mort devant les Grecs vainqueurs de Troie ("Tiens, la douleur n'est rien"). Aux côtes de ces trois stars évoluent une pléiade de chanteurs admirables, tous à citer. Stéphane Degout campe un Chorèbe très amoureux, Philippe Sly et Nicolas Courjal sont de bons Panthée et Narbal, tout comme Cyrille Dubois et Stanislas de Barbeyrac dans les rôles d'Iopas et d'Hylas (quoique j'aurais aimé les intervertir). Citons encore l'étoile montante Marianne Crébassa, qui peine un peu à se faire valoir en Ascagne, la solide Hanna Hipp en Anna, et Jean Teitgen, dans les deux rôles de l'Ombre d'Hector et du dieu Mercure. John Nelson connaît son Berlioz sur bout des doigts et partage allègrement son enthousiasme pour la partition, avec, par exemple, un excitant finale de l'acte I, dans le vrai style du grand opéra français. Certains tempi sont toutefois un peu lents (septuor et duo du IV). L'orchestre Philharmonique de Strasbourg n'est sans doute pas celui de Covent Garden mais livre une très belle prestation (bravo à la clarinette pour l'apparition d'Andromaque !) Le coffret contient un cinquième CD, qui est... un DVD. Nous y regarderons les plus fameux extraits du concert à l'origine de l'enregistrement : la scène finale du bûcher est mémorable. Adieu, fière cité...
Bruno Peeters
Son 10 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10