La famille Francœur et le violon à la Cour française, mis à l’honneur par un duo émérite
Les Frères Francœur. François Francœur (1698-1787) : Sonates en sol mineur Op. 2 no 6, en sol majeur Op. 1 no 10. François Francœur et François Rebel (1701-1775) : Les Augustales, Tarcis et Zélie, Scanderberg, Pyrame et Thisbé, Le Trophée, Le Prince de Noisy [extraits]. Louis Francœur (c1692-1745) : Largo de la Sonates en si mineur Op. 1 no 6, Sonate en mi mineur Op. 1 no 4. Louis-Joseph Francœur (1738-1804) : Chaconne que j’ai faire pour donner à mon oncle. Jean-Jacques Baptiste Anet (1676-1755) : Sonate no 11 en do mineur. Jean Durocher (fl XVIIIe siècle) : Prélude de la Première Suite en do majeur. Théotime Langlois de Swarte, violon. Justin Taylor, clavecin. Décembre 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 78’13. Alpha 895
Membres des Vingt-Quatre Violons du Roi, Louis (aussi basse de violon de l’Opéra) et son frère François, qui devint encore plus célèbre comme compositeur, sont deux des trois membres de la famille que cet album met à l’honneur. Cela d’abord au travers de quelques sonates pour violon et clavecin, dont la publication se circonscrit aux quinze années suivant le début de la Régence. Le programme nous offre aussi quelques extraits d’ouvrages scéniques écrits à quatre mains entre 1726 (Le Trophée) et 1749 (Le Prince de Noisy) par François Francœur et son alter ego François Rebel (fils de l’auteur du ballet Les Eléments), qui se partagèrent la charge de Maître de Musique et Surintendant de la Chambre du Roi. Deux postes qu’occupa aussi Louis Francœur, qui marcha dans les traces de son oncle François, même si son catalogue reste ténu, et représenté ici par une Chaconne.
Une large part de ce disque est annoncée en premier enregistrement mondial, y compris une Sonate de Jean-Jacques Baptiste Anet (fils de Jean-Baptiste Anet, membre de la « Grande Bande »), un élève d’Arcangelo Corelli qui, à ce titre, contribua à introduire à la Cour française l’esthétique de l’école italienne. Les musettes, ciels d’orage, airs martiaux et autres effets de scène abordés dans les pages tirées de l’univers opératique constituent autant d’intermèdes imagés au sein du répertoire purement instrumental. On salue ainsi la curiosité des deux artistes qui nous valent ici la découverte de tant de partitions rares, exhumées par leur soin expert.
Les archets d’Anaïs Chen (Passacaille, 2016) et Kreeta-Maria Kentala pour le Livre I (Glossa, 2018), parés d’un continuo de violoncelle et clavecin, servirent magnifiquement le corpus des sonates de François Francœur. Sur son Jacob Stainer de 1668, Théotime Langlois de Swarte rivalise aisément en termes de vivacité, de sensibilité et de couleur. L’oreille est suspendue à ses cordes loquaces mais qui ne forcent l’expression. Sur son anonyme lyonnais (XVIIe siècle, retravaillé par Joseph Colesse en 1747), Justin Taylor assure un soutien idéal, tant dans la stylisation des danses, les respirations poétiques que les vignettes dramatiques.
Dès l’introduction de la gavotte du Trophée, les subtiles inégalités qui se grignent au clavier signent la grâce de cette interprétation qui, tout au long du disque, gagne les faveurs sans fard ni courtisanerie, et laisse résonner d’un relief particulier le titre de la dernière pièce, Pour plaire, l'art ne peut prêter qu'une faible imposture. Même si l’on n’en attendait pas moins de ce duo qui cultive éminence et connivence, on ne peut que féliciter un captivant album, majeur pour la valorisation du patrimoine violonistique d’Ancien-Régime.
Son : 9,5 – Livret : 8 – Répertoire : 7,5-9 – Interprétation : 10
Christophe Steyne