Rachmaninov par Leonard Slatkin, le temps en perspective
Serge Rachmaninov (1873-1943) : intégrale des Symphonies, l'Île des Morts, Op.29 ; Vocalise, Op.34 n°14 ; Danses symphoniques, Op.45. Detroit Symphony Orchestra, direction : Leonard Slatkin. 2010-2013. Livret en anglais. 3 CD Naxos. 8.503278
Serge Rachmaninov (1873-1943) : Symphonie nᵒ 2 en mi mineur, Op. 27 ; Vocalise, Op.34, n°14. Saint Louis Symphony Orchestra, direction : Leonard Slatkin. 1079. Livret en anglais. 64’24’’. Vox NX 3013 CD
Serge Rachmaninov (1873-1943) : Concerto pour piano n°2 en Do mineur, Op.18 ; Concerto pour piano n°3 en Ré mineur, Op.30. Abbey Simon, piano ; Saint Louis Symphony Orchestra, direction : Leonard Slatkin. 1979. Livret en anglais. 71’41’’. Vox NX 3014 CD
Le chef d’orchestre Leonard Slatkin a toujours été l’un des grands interprètes de Rachmaninov et des récentes rééditions, dans le cadre des 150 ans de la naissance du compositeur, permettent d’apprécier son excellence dans les œuvres du grand compositeur, des partitions qui accompagnent sa carrière. La précision de la baguette du chef américain et la brillance naturelle de cette musique, lui permettent d’imposer des lectures engagées mais jamais surjouées, une sorte d’objectivité du bon goût.
Lors de son mandat à la tête du Detroit Symphony Orchestra (2008-1018), Leonard Slatkin a gravé une intégrale des Symphonies complétée de l’Ile des morts, des Danses symphoniques et de la célèbre Vocalise. Au sommet de cette intégrale, il faut placer une magistrale Symphonie n°2. Enregistrée en concert, elle témoigne d’un engagement complet de l’orchestre et la sûreté de la direction qui garde le contrôle des effets. Comme on dit : ça joue ! Les pupitres de la phalange américaine sont en parade et font feux de tout bois : cordes soyeuses, vents finements musicaux et précision des pupitres de cuivres galvanisés. L’enthousiasme est communicatif et l’on tient l’une des plus belles interprétations de cette oeuvre. On redescend un peu avec des lectures des Symphonies n°1 et n°3,qui sont certes parfaites de style et de technique, mais auxquelles il manque le sens de la transe collective de la Symphonie n°2. Slatkin surmonte toutes les difficultés de ces partitions hybrides qui peuvent venir sonner avec lourdeur et manque d’unité. Bien évidemment, ce n’est pas un Rachmaninov à la russe ou avec un gros son, le chef soigne un matériau orchestral auquel il rend la radicalité de l'écriture, surtout dans la très abrasive et granitique Symphonie n°1. L’orchestre est appliqué et concentré, et il présente un fini instrumental parfait même si un peu neutre. Au niveau des compléments, on apprécie particulièrement l’Ile des morts en mode démonstration d’orchestre, on est presque ici au niveau de John Wilson (Chandos). Les Danses symphoniques sont un peu le point faible de ce coffret. La prestation est léchée et sans anicroche mais cela manque de creusement et d’impact, une solide lecture un peu trop neutre. La brève Vocalise, menée de main de maître sans mièvrerie, est un bonbon bienvenu. Dès lors, on garde cette intégrale comme un solide témoignage contemporain. Dans l’absolu, Ashkenazy (Decca), Maazel (DGG), Svetlanov (Exton), Jansons (EMI) et Dutoit (Decca) restent les références de notre temps.
Plongée dans le temps avec une édition à part de Leonard Slatkin dans la Symphonie n°2 et la Vocalise. Un album réédité par Vox, désormais propriété de Naxos, dans une collection nommée Audiophile Edition. Ces interprétations sont tirées à part de l'excellente intégrale de Slatkin avec le Saint Louis Symphony gravée à la fin des années 1970. L’épreuve de la comparaison est toujours amusante car si l’optique du chef reste exactement la même avec cette objectivité contrôlée, ni trop sentimentale, ni trop narrative, du côté des tempi, ceux-ci sont légèrement plus lents et cela s’entend. On abandonne la folle énergie du concert capté à Detroit pour une belle lecture de studio.
Vox propose également une réédition des Concertos pour piano n°2 et n°3 tirés de l’intégrale des concertos en compagnie d’Abbey Simon (1920-2019) avec Leonard Slatkin et le Saint Louis Symphony. Bien trop oublié, ce pianiste, pilier du catalogue Vox, fut qualifié de supervirtuoso par le New York Times. La vision du pianiste rejoint celle du chef pour livrer des interprétations virtuoses mais toujours très contrôlées de ces deux partitions de démonstration. La logique est musicale, purement musicale et jamais démonstrative ou clinquante : on retrouve cette objectivité dont nous parlons depuis le début de cet article. Les deux artistes parviennent à mettre en avant la motorique et la pure énergie de ces partitions : la technique magistrale d’Abbey Simon lui permet de multiplier les contrastes et les nuances et Leonard Slatkin canalise un orchestre altier et conquérant. A titre de leçon, les apprentis pianistes bêtes de concours pourront se repasser le dernier mouvement du Concerto n°3, agile, souple et nerveux sans jamais être pesant ou narcissique.
Une série de rééditions Naxos et Vox à saluer pour la probité des artistes mais aussi parce qu’elle rendent gloire à des orchestres que les mauvaises langues qualifieraient de “province” mais qui en termes de fini technique surclassent aisément tant d’autres phalanges.
Notes globales : 9 (intégrale Naxos) et 9 (albums Vox)
Pierre-Jean Tribot