« La Fête à Hébé » amuse l’Opéra Comique

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Composé et créé en 1739 pour l’Académie Royale de Musique, le deuxième opéra-ballet de Rameau, Les Fêtes d’Hébé ou Les Talents Lyriques rencontra immédiatement un vif succès. En un prologue et trois entrées c’est à dire autant de fêtes consacrées successivement à La Poésie, la Musique et la Danse, Hébé, déesse de la jeunesse rétablit le lien entre les dieux et les mortels. Si la forme de l’opéra-ballet est née avec le Triomphe de l’Amour de Lully en 1681, c’est son fervent admirateur, Jean-Philippe Rameau, qui la conduira à sa perfection.

William Christie a choisi ce sommet de l’art baroque pour célébrer son quatre-vingtième anniversaire Salle Favart et la réussite provocatrice de Platée, il y a une dizaine d’années, l’a incité à solliciter à nouveau Robert Carsen pour la mise en scène.

L’Olympe est ainsi transporté au Palais de l’Elysée. Au cours d’une réception, la soubrette Hébé renverse un verre de vin sur la robe de Brigitte Macron. Aussitôt renvoyée, elle se réfugie sur les bords de Seine. Elle s’installe alors sous les palmiers de Paris-Plage, accompagnée des invités et journalistes en maillots de bains et chemises hawaïennes (« la Poésie »). La deuxième entrée fait apparaître le stade olympique de football sur écran géant avec arrière-plan de bouquinistes (« La Musique »). Enfin, aux pieds de la Tour Eiffel, tous les protagonistes s’encanaillent autour d’une gargote taguée, envahie de Bikers sous la direction de Mercure-DJ (« La Danse », concert pastoral).

L’action, la scénographie, les costumes, les ballets... tout, sauf la partition, est actualisé, républicanisé, voire tout à fait « franchouillard ». Le tour de force esbaudit (remarquable utilisation de la vidéo) et divertit. Néanmoins, en prenant le contre-pied des composantes baroques, le metteur en scène isole la musique de son écosystème provoquant un hiatus dont le mobile reste obscur.

De son côté, trente-sept ans après Atys et sur la même scène, William Christie survolté s’empare de la partition. Les effectifs sont renforcés, les tempi diaboliques, les percussions omniprésentes. La crainte d’ennuyer précipite les rythmes si bien que les ambiguïtés, les accents nostalgiques, l’exquise indécision qui retarde la résolution des dissonances sont balayés par les rafales tempétueuses des cordes. Quelques oasis laissent toutefois deviner le génie Rameau dans sa fraîcheur native : ainsi du duo de la Naïade et du Ruisseau, miracle de mélancolie tendre et acidulée.

Bien entendu, la danse est omniprésente dans la partition. Elle l’est aussi sur scène mais ne cherche nullement à relier ciel et terre. Elle rampe, saute ou se désarticule. A côté d’inventions astucieuses (les gestes des joueurs de football) la chorégraphie utilise la fascination contemporaine pour les accessoires (portables, transats, mimiques d’influenceuse, drapeaux français, écouteurs…). Le vocabulaire saltatoire recours au hip-hop, break-dance sans oublier de torrides déhanchements. L’impératif baroque qui consiste à proposer, suggérer sans montrer ni imposer a logiquement disparu dans le panier de la guillotine.

Chœurs et solistes font preuve d’un engagement enthousiaste (Chœur des Thessaliens - « Que jusqu’aux cieux s’élèvent nos accords » ou encore air d’Iphise « O mort, n’exerce pas ta rigueur inhumaine »).

Léa Desandre incarne les trois arts à travers autant d’amoureuses -la poétesse Sapho, la princesse Iphise (Musique domptant la guerre) et la bergère Eglée discernant l’amour vrai sous l’anonymat du dieu Mercure-. Le naturel et la justesse de sa présence scénique alliés à la souplesse du chant apportent beaucoup d’élégance à la transposition contemporaine. Emmanuelle de Negri ne manque pas d’abattage en déesse déchue reconvertie en animatrice de club de vacances puis en pilote de bateau-mouche. Dans son numéro d’influenceuse-folle-d’elle-même, Ana Vieira Leite ose des accents lyriques amples et colorés. Le ténor Marc Mauillon, d’une voix épanouie et agile transforme le Momus assez réservé du prologue en époustouflant Mercure tandis que le charme de Renato Dolcini met en valeur l’assurance de Cyril Auvity. Lisandro Abadie (Eurilas et Alcée) et Antonin Rondepierre (Thélème) complètent une distribution où le chœur des Arts Florissants se distingue par sa cohérence et son équilibre.

L’amoureux de l’art baroque sera surpris, l’admirateur de Rameau déconcerté. Que voulez-vous !… - c’est « la Fête à Hébé ». 

Bénédicte Palaux Simonnet

Paris, Opéra comique, le 13 décembre 2024

Crédits photographiques : Antonin Rondepierre

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