La Filarmonica della Scala à la Philharmonie de Paris: Vengerov enchante, Chailly déçoit

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Venus à Paris pour un unique concert à la Philharmonie, l’orchestre et le chef milanais avaient concocté un programme composé de deux oeuvres seulement, mais très exigeantes tant pour le soliste que pour l’orchestre.

Dès le premières mesures du Nocturne qui ouvre le Concerto pour violon n° 1 de Chostakovitch, l’impression que donnait Maxim Vengerov était celle d’une concentration totale, alors que, les yeux mi-clos, il déployait la ligne mélodique avec un sens de la cantilène et un lyrisme qui allait infailliblement au coeur de la musique. Dans le diabolique Scherzo, Vengerov opta par moments pour un son plus cru tout en montrant une sensibilité d’écorché vif, déchaîné dans l’épisode central dont -servi par une maîtrise technique hallucinante- il fit ressortir ce sentiment de danger et de folle prise de risques, avant de saisir à la perfection le côté klezmer parodique et grinçant.

Vengerov pouvait compter sur un accompagnement parfait de la part de Chailly et des musiciens de la Scala, le chef faisant souvent preuve d’une légèreté inattendue, comme dans la Passacaille où le dialogue entre le soliste et l’excellent cor anglais se voyait conférer un  véritable caractère hymnique. Vengerov frappa ici à plus d’une reprise par la qualité étonnamment vocale de son interprétation, au point qu’on avait l’impression d’entendre davantage la parole éloquente du violoniste plutôt que son jeu. Quant à la fin du mouvement, elle fut rendue dans une extraordinaire impression de totale désolation, après une cadence véritablement habitée, mais hélas sur regrettable fond de toux du public de la Salle Pierre Boulez dont le Burlesque final permit d’apprécier l’acoustique remarquable, entre autres dans la clarté absolue de la percussion. Vengerov se montra souverain dans cette course à l’abîme, et on ne sait vraiment pas quel rival pourrait lui faire de l’ombre dans ce répertoire qu’il sert avec une compréhension et une profondeur qui forcent le respect. On s’étonna presque d’entendre la salle applaudir avec enthousiasme dès la dernière note du concerto, alors que la force émotionnelle de l’oeuvre comme l’implication totale du soliste (sans parler de la belle prestation du chef et de l’orchestre) auraient eu de quoi laisser plus d’un auditeur pantois et que quelques secondes de silence auraient permis un retour moins brusque à la dure réalité du quotidien. Quoi qu’il en soit, triomphe largement mérité.

Après leur belle prestation dans Chostakovitch, c’est avec beaucoup d’intérêt qu’on attendait les visiteurs transalpins dans le Concerto pour orchestre de Bartók, oeuvre très exigeante pour les musiciens. Dès les début de l’Introduzione, on remarquait les violons précis même si pas particulièrement opulents, la belle contribution du hautbois, mais aussi le prosaïsme du chef qui ne parvenait pas à instaurer l’atmosphère de mystère requise. Le Giuoco delle copie permit aux vents de se mettre en valeur, alors que le beau thème aux cordes de l’Elegia laissait de glace, l’approche clinique de Chailly tenant plus de la radiographie que de l’interprétation.

La belle section d’altos de l’orchestre essaya de mettre un peu de vie dans la belle mélodie que Bartók lui confie au début de l’Intermezzo interrotto , mais à nouveau, Chailly ne sembla pas montrer d’affection particulière pour cette musique, l’orchestre faisant correctement ce qu’il avait à faire (et rien de plus) et le chef semblant s’en contenter. Le bel appel des cors qui ouvre le Finale fit qu’on se remit à brièvement espérer, avant de devoir constater que ce qui aurait dû être un irrésistible tourbillon orchestral était juste joué très fort et de manière brouillonne, aucun soin n’étant apporté à l’étagement des plans et les forte dégénérant immanquablement en bouillie sonore. Une interprétation banale et décevante.

Paris, Philharmonie, 25 janvier 2019.

Patrice Lieberman

Crédits photographiques : Luca Piva

 

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