La Finlande, une terre d’Ouvertures

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Overtures from Finland. Jean Sibelius (1865-1957), Uuno Klami (1900-1961), Erkki Melartin (1875-1937), Leevi Madetoja (1887-1947), Armas Järnefelt (1869-1958), Ernst Mielck (1878-1899), Selim Palmgren (1878-1951), Robert Kajanus (1856-1933), Heino Kaski (1885-1957). Oulu Sinfonia, direction Rumon Gamba. 2022. Notice en anglais, en allemand et en français. 71’ 32’’. Chandos CHSA 5336. 

On sait à quel point la Finlande est riche en compositeurs de talent. Le présent album en donne, si c’était encore nécessaire, une confirmation, en offrant un éventail d’ouvertures écrites au cours de la phase la plus formatrice de la musique du pays, celle de créateurs nés entre 1858 (Kajanus) et 1900 (Järnefelt). La notice détaillée de Daniel M. Grimley, auteur d’ouvrages consacrés à Sibelius, Grieg, Nielsen ou Delius, précise que certaines de ces œuvres possèdent des associations picturales frappantes, d’autres ont été composées pour des productions théâtrales ou présentent un caractère plus abstrait. Elles constituent en tout cas un éloquent témoignage de la diversité et de l’inventivité déployée par ces musiciens, dont certains noms sont bien connus, d’autres étant moins familiers.

A tout seigneur, tout honneur. Jean Sibelius ouvre le programme avec son opus 10, l’ouverture Karelia de 1893, l’année qui suit la création à Helsinki, en avril 1892, du grandiose Kullervo pour soprano, baryton, chœur d’hommes et orchestre. Dans l’intervalle, Sibelius s’est marié avec Aino, la sœur du compositeur Armas Järnefelt. Il a passé avec elle son voyage de noces en Carélie, et a composé notamment une première mouture d’En Saga. C’est à l’occasion d’une commande pour une association d’étudiants qu’il écrit l’ouverture et la suite de Karelia, mais une intention politique se glisse derrière l’événement, car la Finlande désire ardemment son indépendance de la tutelle russe, qui ne sera obtenue qu’en 1917. La Carélie est symbolique de cette volonté, car à travers elle, c’est le Kalevala et ses légendes en toile de fond, qui constituent ce que Marc Vignal, dans sa biographie de Sibelius (Fayard, 2004) appelle l’héroïque socle culturel sur lequel la Finlande souhaite se reconstituer. L’ouverture combine une marche dynamique et un thème évocateur de chant runique, avant une fanfare qui servira de thème au premier numéro de la Suite op. 11. Sibelius dirige lui-même l’orchestre le 13 novembre 1893, dans un climat d’excitation rendant l’audition quasi inaudible, la salle, bondée, ne cessant de crier et d’applaudir. Mais le succès est assuré !

Deux plages de l’album sont consacrées au beau-frère de Sibelius, Armas Järnefelt, né quatre ans après lui. Il étudie auprès de Busoni à Helsinki et de Massenet à Paris. Devenu chef d’orchestre, il occupe des fonctions importantes dans des maisons d’opéras de son pays natal, mais aussi en Suède dont il prendra la nationalité. Son Ouverture lyrique de 1892, écrite à 23 ans, est une page aux couleurs vives et colorées, où l’on sent l’influence picturale de Grieg et de Svendsen. Le Præludium de 1900, populaire en Finlande, baigne dans un climat léger, avec une jolie partie confiée à un solo de violon. Quant à Robert Kajanus, qui fonda le premier orchestre professionnel des pays nordiques, son nom est étroitement lié à celui de Sibelius, dont il était l’aîné de près de dix ans. Ce chef d’orchestre réputé, qui quitta son pays pour étudier à Leipzig, Paris et Dresde, a été l’une des figures majeures de la vie musicale finlandaise et un ardent défenseur de Sibelius. Dans un passionnant coffret consacré à des enregistrements historiques du compositeur de Karelia, on peut entendre plusieurs symphonies et des pages orchestrales de ce dernier, sous la baguette de Kajanus, au début des années 1930 (Warner, 2015). C’est une leçon d’interprétation ! Son Ouverture symphonique, qui date de 1926, est à la fois enlevée et dramatique, de caractère straussien, avec de larges développements aux cordes et des couleurs insolites, comme l’utilisation du célesta.

Parmi les autres ouvertures, on relève d’abord, dans l’ordre chronologique de naissance des compositeurs, La Belle au bois dormant d’Erkki Melartin, né dix ans après Sibelius. Cette introduction à une musique de scène pour le conte de fées contient notamment un superbe solo de violoncelle, mais aussi des accents évocateurs dus à la harpe et aux timbales. L’Ouverture dramatique d’Ernst Mielck, qui mourut à 22 ans après avoir étudié à Berlin avec Max Bruch, combine des atmosphères solennelles, émouvantes et tourmentées pour s’achever en drame résigné. Cette page de 1898, l’une des plus attrayantes du programme, a été écrite un an avant le décès de Mielck qui l’avait décrite, dans une lettre, comme la victoire finale du Mal. On peut aussi la considérer comme une prémonition de sa fin prématurée. De Selim Palmgren, autre élève de Busoni, on découvre l’Ouverture de Cendrillon, prélude à une musique de scène, aux plaisants accents folkloriques d’inspiration bulgare. Quant au Prélude de Kaski, qui étudia à Berlin avec Paul Juon et mourut le même jour que Sibelius, il s’agit d’une tendre berceuse, transcription d’une page pour piano de son auteur. On retiendra encore, placée juste après l’ouverture de Karelia de Sibelius, celle d’Uuno Klami, un élève de Melartin, né en 1900. Intitulée Les Cordonniers de la lande, cette page satirique est brillante et particulièrement enjouée.

Nous avons laissé pour la fin l’Ouverture de comédie de Leevi Madetoja, l’un des rares élèves privés de Sibelius, que ce dernier appréciait hautement. Des événements tragiques ont marqué son existence, dont l’assassinat de son frère par les gardes rouges en 1918. Ce compositeur important, dont la remarquable Symphonie n° 3 de 1925-26 a été gravée à plusieurs reprises par des chefs finlandais, au nombre desquels Jukka-Pekka Saraste (Finlandia, 1993), est illustré ici par cette page de 1928, très rythmée, avec d’autres saveurs straussiennes. Madetoja est né à Oulu, ville du nord-est de la Finlande, à plus de 500 kilomètres d’Helsinki. L’orchestre de cette cité, Oulu Sinfonia, a été fondé en 1937, mais il ne porte son appellation actuelle que depuis 2015. Les dix ouvertures ont été gravées fin mai et début juin 2022 dans le Madetoja Concert Hall. Depuis janvier de la même année, l’Anglais d’origine italienne Rumon Gamba (°1972) en est le chef principal. Cet habitué des musiques nordiques (il a déjà enregistré pour Chandos des pages de Dag Wirén et de compositeurs islandais) est à l’aise dans ce répertoire qu’il mène avec un plaisir évident et un vrai sens des proportions et des équilibres. Si toutes les œuvres de l’album ne sont pas d’un intérêt prioritaire, ce programme original mérite largement un détour.        

Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : de 8 à 10  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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