La flûte virtuose de Krzysztof Kaczka pour Reinecke et Penderecki
Carl Reinecke (1824-1910) : Concerto pour flûte et orchestre en ré majeur op. 283 ; Krzysztof Penderecki (1933-2020) : Concerto pour flûte et orchestre de chambre. Krzysztof Kaczka, flûte. Jánaček Philharmonic Ostrava, direction Felipe Tristan. 2022. Notice en allemand et en anglais. 47.29. Hänssler Classic HC23013.
Voisinage à première vue surprenant d’un compositeur romantique avec un éminent créateur du XXe siècle ! Pourtant, une caractéristique rapproche les deux partitions inscrites au programme : une haute virtuosité qui ne se dément jamais. Le Concerto pour flûte de Carl Reinecke est l’un des chevaux de bataille de l’instrument, dont Jean-Pierre Rampal a gravé une version de référence avec Théodor Guschlbauer et le Symphonique de Bamberg (Erato, 1992). Plus proches de nous, pour ne citer qu’eux, Patrick Gallois (avec une adaptation de la partie soliste) et l’Orchestre de chambre suédois (Naxos, 2006) ou Tatjana Ruhland avec le RSO Stuttgart, mené par Alexander Liebreich (CPO, 2017) en ont livré de belles gravures. Compositeur prolifique (288 opus), Carl Reinecke, formé à Leipzig où il rencontra Mendelssohn et Schumann, a été à la tête de l’Orchestre du Gewandhaus local pendant trente-cinq ans (1860-1895) et a enseigné au Conservatoire de la même cité, avant d’en être le directeur. Parmi ses élèves, figurent Grieg, Sinding, Sullivan et quelques autres musiciens de renom. C’était aussi un pianiste de haut niveau qui se produisit avec succès dans toute l’Europe. Nous renvoyons le lecteur, pour plus de détails biographiques, à notre article du 26 mars 2023 autour de ses concertos pour piano parus chez Hyperion.
Ecrit tout à la fin de son parcours terrestre, le Concerto pour flûte de Reinecke s’inscrit dans la pleine ligne du romantisme et une sensibilité XIXe siècle, qui est parente de celle de Mendelssohn. L’orchestration fine et délicate entraîne l’auditeur dans un univers éthéré au sein duquel la flûte, brillante et virtuose, dialogue, de façon élégante et subtile, avec un tapis de cordes qui la mettent en valeur, au milieu d’enjolivements aux couleurs chaudes et chatoyantes. On se laisse facilement prendre au jeu de la séduction et d’une ivresse sonore qui incite à la rêverie. Celle-ci culmine dans un émouvant Lento e mesto central, qui abonde en douceur recueillie, dans un intense climat lyrique, avant un final qui permet au soliste de donner libre cours à son art de l’évocation. Un anachronisme en cette fin de la première décennie du XXe siècle en ébullition, sans doute. Mais qui ne se laisserait bercer par tant de beauté ? Originaire de Torun, le flutiste polonais Krzysztof Kaczka (°1977) s’est formé à Munich, à Salzbourg et à Vienne. Il s’est fait applaudir régulièrement à New York, au Carnegie Hall, et il a donné maints concerts, jusqu’au Brésil et en Australie. Il s’investit de façon à la fois voluptueuse et brillante dans cette partition de Reinecke.
C’est à Jean-Pierre Rampal que Krzysztof Penderecki a dédié son Concerto pour flûte et orchestre de chambre, créé à Lausanne le 11 janvier 1993, avec le génial soliste dirigé par le compositeur, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’Orchestre de Chambre de Lausanne. Sony l’enregistrera le 23 novembre de la même année avec les mêmes protagonistes, mais cette fois avec la Sinfonia Varsovia. Deux ans, plus tard, Penderecki en fera une transcription pour clarinette. En cinq mouvements joués sans interruption, dans un dialogue avec l’orchestre qui alterne les passages calmes avec les moments animés et beaucoup de traits spectaculaires, ce concerto, qui provoque une grande émotion chez l’auditeur, fait une sorte de synthèse entre la tradition (il a la forme d’un concerto grosso) et l’atonalité. Pour le soliste, l’occasion est belle de faire étalage de son talent, aussi bien dans l’expressivité de l’Andante initial que dans les effets bondissants ou entrecoupés du Più animato, les effets percussifs qui ponctuent le parcours ou le Vivace final qui, dans une atmosphère lyrique vibrante, laisse peu à peu la musique s’effacer dans le silence.
Ici aussi, Krzysztof Kaczka déploie un jeu tout en contraste, soutenu par la formation tchèque d’Ostrava et son chef mexicain Felipe Tristan. Nous lui préférons cependant l’admirable version gravée pour Naxos par Lukas Dlugosz avec la Philharmonie de Varsovie, menée par Antoni Wit, grand spécialiste de Penderecki. Cette version de 2010 apporte à l’œuvre une dimension très intense, un peu moins perceptible dans le présent album Hänssler, dont on goûtera néanmoins la virtuosité. Malgré sa brièveté (un peu plus de 45 minutes), le couplage offre un très beau témoignage de concertos essentiels destinés à la flûte.
Son : 9 Notice : 8 Répertoire : 10 Interprétation : 8,5
Jean Lacroix