Lahav Shani dirige Bruckner 

par

Anton Bruckner (1824-1896) :   Symphonie n°5 en si bémol majeur, WAB 105 ( Version de 1878 - Ed. Leopold Nowak. Rotterdam Philharmonic Orchestra, direction  : Lahav Shani. 2021. Livret en : anglais, français et allemand. 71’31. Warner Classics. 5 054197 792014. 

Après une récente symphonie n°7, saluée dans ces colonnes, Lahav Shani s’attaque à un autre sommet encore plus haut, de l’art de Bruckner : la symphonie n°5.

S’il y a bien une constante des jeunes prodiges de la baguette, c’est leur côté téméraire à s'attaquer d’emblée et à enregistrer de tels monuments symphoniques marqués par tant de grands chefs. Faut-il y voir le côté crâneur de jeunes artistes sûrs de leurs faits d’armes ou l’expression narcissique d'afficher son nom dans des discographies de prestige ? Certes, il ne s'agit pas de remettre en cause le talent majeur et indéniable de Lahav Shani, mais de questionner la démarche artistique qui pousse à enregistrer si jeune de tels monuments musicaux là….

Comme tant d’autres interprètes contemporains, Lahav Shani défend un bruckner orchestral, développant sa propre logique organique loin d'une puissance divine ou de toute expression métaphysique. La baguette du chef sculpte une masse construite avec soin mais aérée, évitant les lourdeurs. Les tempi, assez allants, appuient cette lecture qui travaille la lisibilité des masses instrumentales avec une grande attention portée aux césures et à aux nuances. Ce Bruckner est presque doux, refusant une cursivité de l’orchestration ou une transe un peu bourrue de cet art de paysan autrichien. A ce jeu, c’est le mouvement lent “Adagio.Sehr Langsam” qui s'impose avec le plus d’évidence et de naturel porté par cette direction épurée, laissant parfois une liberté presque chambriste aux pupitres de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam et leur permettant de dévoiler une variété assez incroyable dans la gradation des nuances. Les autres mouvements, certes menés avec persuasion dans la lignée de la vision globale du chef, souffrent par contre d’une forme de neutralité interprétative. Comme si le point d’équilibre recherché par Lahav Shani restreignait l’engagement collectif. 

Le Philharmonique de Rotterdam livre une prestation de très haut vol avec des pupitres affutés (superbes cuivres) et hautement musicaux (finesse et élégance des vents ) mais la sonorité d’ensemble même si flatteuse à l’oreille s’avère un peu trop neutre. 

Dès lors, on salue la volonté de Lahav Shani de chercher et de réussir une voie personnelle dans cette symphonie de la démesure, mais dans un contexte discographique pléthorique et tellement qualitatif, cet album reste assez en retrait. On ne doute pas qu’au fil des ans, Lahav Shani va maturer sa vision pour parvenir à l'exceptionnel. Un disque de bonne facture, parfois très intéressant mais sans doute trop précoce.  

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 10  Interprétation : 8

Pierre-Jean Tribot

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.