Large anthologie de la Facultad Organica sur un panel d’orgues historiques, prolongée par un consort vocal et instrumental

par

Francisco Correa de Arauxo (1584-1654) : Libro de Tientos. Thomas Créquillon (1505-1557) : Par tous moyens ; Magna et mirabilia. Philippe Verdelot (1485-1552) : Ultimi miei sospiri. Nicolas Gombert (1495-1556) : O Gloriosa Dei Genitrix ; Mon Seul. Josquin Desprez (c1450-1521) : Ave Maria. Alonso Lobo (1555-1617) : Beata Dei Genitrix. Pierre de La Rue (1460-1518) : Sanctus. Francesco Rognoni (1570-1626) : Susanna d’Orlando. Clemens non Papa (1510-1555) : Cancion… Bernard Foccroulle, orgue, virginal. Inalto. Alice Foccroulle, soprano. Vojtech Semerad, alto. Olivier Coiffet, Adriaan De Koster, Reinoud Van Mechelen, ténor. Guillaume Olry, basse. Lambert Colson, cornet. Adrien Reboisson, chalemie, bombarde. Anaïs Ramage, Mélanie Flahaut, José Gomes, douçaines. Guy Hanssen, Susanna Defendi, Bart Vroomen, trombone. Livret en anglais et français. Octobre 2019, septembre 2020, juin 2021. Coffret de quatre CD 68’47, 76’40, 70’33, 62’53. Ricercar RIC 435

Cette parution sera un événement pour tout amateur de tuyaux anciens. Trente ans après le volume 2 de la collection El Órgano Histórico Español, enregistré en juillet 1991 à Liétor et Séville, que Bernard Foccroulle consacrait entièrement à Correa de Arauxo, le grand organiste belge revient explorer dans les grandes largeurs la Facultad Organica, corpus majeur du Baroque ibérique. Parmi les six dizaines de Tientos que compte le recueil de 1626, ce coffret en a retenu trente-neuf dont les plus notoires. On observe toutefois que trois de ceux que Bernard Foccroulle avait programmés dans ses CDs pour Auvidis et à Woluwé St-Lambert (Ricercar, 1989) sont ici éludés (no 8, 30, 57). Atout : les pièces d’orgue sont mises en perspective avec un répertoire vocal et instrumental qui permet de mieux en comprendre le langage et l’ornementation.

Rappelons que l’on ignore les ressources de l’instrument que toucha le compositeur à l’église San Salvador de Séville, où il fut nommé à l’âge de quinze ans, mais qui était vraisemblablement d’origine flamande à l’instar de nombre d’orgues de l’époque inspirés de la facture Renaissance. Soulignons aussi que les chamades, anches qui pointent à l’horizontale, que l’on associerait d’emblée à la facture hispanique, connurent une vogue bien plus tardive. Bernard Foccroulle a donc arpenté différentes régions d’Espagne, à la recherche d’orgues qui puissent crédiblement servir le brio mais surtout la transparence polyphonique de ces pièces. Six ont finalement été retenus : à Castaño del Robledo (qui préserve une tuyauterie à la manière des Flandres), Marchena, Lerma (les deux tribunes de la Epistola et del Evangelio de la collégiale San Pedro) et Tordesillas. Ces vestiges d’époque, andalous et castillans, plus ou moins bien conservés, sont complétés par l’orgue de chœur construit en 1999 par Joris Potvlieghe pour l’Abbaye de Grimbergen, dans l’authentique manière flamande.

Les quatre CDs répondent à une structure thématique, en phase avec les choix organologiques. D’abord ce qui est considéré comme relevant d’un style de jeunesse, ou témoignant d’une ère d’échange entre culture flamande et espagnole (un virginal d’après Rückers se voit confié deux Tientos), avant que le CD 2 n’investigue l’évolution esthétique vers le Baroque. Le CD 3 se penche sur l’importance du sacré et regroupe la plus grande part des contributions vocales et consortantes invitées au menu. S’y trouvent les célébrations pour l’Immaculée Conception et la Fête-Dieu dont les versions harmonisée et glosée autour du Todo el mundo en general ; on aurait aussi apprécié un alternatim tel que pratiqué par l’Ensemble Gilles Binchois et Jesús Martín Moro à São Vicente de Lisbonne (Tempéraments, 1998). Suit enfin un hommage au clair-obscur qui rappelle le goût du contraste cultivé par ces pièces d’une intense émotion, dont l’éclat trouve correspondance dans la peinture d’un Diego Velázquez.

La notice mentionne les spécificités de cet œuvre et ses enjeux interprétatifs, guidés par les propres préconisations du compositeur ; elle fournit quelques exemples de ses dissonances typiques ; elle souligne l’inventivité rythmique, l’art du doigté, et elle conjecture les registrations. En contrepoint du récital d’orgue apparaissent des pièces mariales, madrigaux, chansons, hymnes écrits par quelques célèbres prédécesseurs cités dans la préface de la Facultad Organica. Un assortiment de pièces jouées aux vents (cornet, chalemie, bombarde, trombones), sourcé dans les manuscrits du Duc de Lerma, reflète l’activité des ministriles, tout cela confié aux bons soins de l’ensemble InAlto. Dont les souffleurs viennent alimenter le contrepoint de certains Tientos de tiple ou de dos tiples. On n’esquivera pas le succulent duo avec le trombone basse de Bart Vroomen dans Susanna d’Orlando.

De l’intimisme du Tiento 18 exhalé sur une Flautado 8’ jusqu’aux anches du crépitant Tiento 23 (émané de la Bataille de Cristobal de Morales), en passant par le charme des Cornets et le brio du Lleno, Bernard Foccroulle ne surcharge pas la palette mais veille surtout à la lisibilité des exposés, magistrale dans les pièces à cinq voix comme le Tiento 52, et il s’en tient à une sobriété qui met sereinement en valeur les entrelacs mélodiques et la saveur des falsas. Évidemment, à un niveau de détail, on pourrait toujours trouver à redire : par exemple dans le Tiento 53, le Orlo 8’ semble un peu déplumé face à la sombre suavité des flûtes à la main gauche ; ouf, l’on nous en offre une autre guise en plage 12 du CD 3, avec l’appoint de Lambert Colson au cornet. On se félicite en tout cas que le livret se soit donné la peine de mentionner les registrations utilisées, un argument qui permet d’accéder aux secrets de fabrication de cette fine gastronomie.

Hormis l’intégrale de José Enrique Ayarra Jarne gravée voilà trente ans pour le label Almaviva, et celle de Robert Bates (Loft, incluant un panel d’orgues mexicains), Correa de Arauxo s’expose surtout par des anthologies parmi lesquelles on distinguera Francesco Cera (Brilliant, 2017), Frédéric Munoz à Saint-Pons-de-Thomières (XCP, 1996, un album que nous vous recommandions dans notre feuilleton estival orgues du soleil), et avant tout Odile Bailleux, suprême d’intelligence et de sensibilité (Erato, avril 1990 à Santanyi et Campos). Le présent coffret remet les pendules à l’heure et cumule les faveurs pour s’installer durablement comme un catalogue essentiel de ce legs majeur de l’orgue à l’apogée du Siglo de Oro.

Son : 8-9,5 – Livret : 10 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

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