Le charme pianistique de Nino Rota

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Nino ROTA (1911-1979) : Oeuvres complètes pour piano, premier volume : 15 Préludes, Fantaisie en sol ; 7 Pièces difficiles pour enfants. Eleanor Hodgkinson, piano. 2020. Livret en anglais et en italien. 57.36. Grand Piano GP827.

La Strada, Il Bidone, La dolce Vita, Satyricon, Amarcord, Guerre et paix, Rocco et ses frères, Le Guépard, La Mégère apprivoisée, Waterloo, Le Parrain, ces films qui nous sont familiers et qui figurent parmi les chefs-d’œuvre du cinéma, ont été réalisés par Fellini, Vidor, Visconti, Zeffirelli, Bondarchuk ou Coppola. Ils ont un point commun : la musique de toutes ces productions a été composée par Nino Rota. Ainsi que bien d’autres dont la liste est si longue qu’elle prendrait une place impressionnante dans le présent texte. Une précision, fondamentale : si ces films sont des gloires de l’art de l’image, leur musique l’est tout autant ! 

Né à Milan en 1911, Rota entre au Conservatoire de sa ville natale à l’âge de douze ans, mais il est déjà le créateur d’un oratorio qui a connu une diffusion publique, et dès 1925, il écrit son premier opéra. A Rome, il étudie la composition avec Alfredo Casella et Ildebrando Pizzetti. Il se rend aux Etats-Unis, y poursuit son perfectionnement dans le même domaine, et travaille aussi la direction d’orchestre, notamment avec Fritz Reiner à Philadelphie. Mais son apprentissage ne s’arrête pas à la musique : à son retour en Italie, il s’inscrit à l’Université de Milan et y obtient un diplôme de littérature. Il enseigne à Tarente puis à Bari ; il y prendra la direction du Liceo Musicale de 1950 à 1978. Dès 1933, il écrit de la musique de film pour Matarazzo, Castellani, Pagliero, Soldati et quelques autres ; en 1952, lorsqu’il compose pour Le cheik blanc, avec Alberto Sordi dans le rôle principal, il a derrière lui un grand nombre de partitions pour le cinéma, mais c’est la première fois qu’il met son art au service de Fellini, qui signe enfin une réalisation en solo.

A côté de cette activité, Nino Rota, compositeur prolifique, a écrit plusieurs opéras, des ballets, de la musique pour orchestre dont quatre symphonies et quelques concertos, de la musique de chambre et vocale, une sonate pour orgue et de la musique pour piano. C’est à ce dernier domaine que le label Grand Piano consacre un début d’intégrale. Ce n’est pas une première pour des pages de Rota : on trouve, parmi d’autres, des gravures de Danielle Laval chez Valois, de Mark Soskin chez Kind of Blue, de Christian Seibert chez CPO. Il existe même un CD où Nino Rota est lui-même au piano, lors de prestations publiques. Mais il ne s’agit en général que de sélections. Sauf erreur, c’est la première fois qu’un corpus pianistique complet est entrepris. C’est l’Anglaise Eleanor Hodgkinson qui se lance dans cette aventure, qui apparaît bien séduisante à l’audition de ce volume n° 1. Originaire du comté du Surrey, cette virtuose, qui a étudié à la Royal Academy of Music d’où elle est sortie en 1998, a obtenu en plus une maîtrise en psychologie musicale en 2013. Elle se consacre à l’enseignement et à l’écriture, donne des concerts et est aussi chambriste. Elle s’est produite dans de nombreux pays. On lui doit notamment sur CD une version de chambre du Chant de la terre de Mahler ou une présentation poétique du Quatuor pour la fin du Temps de Messiaen, mais elle a aussi enregistré des pièces de Mendelssohn, Liszt, Schubert, Debussy, Grieg ou Albeniz.

Le programme de l’actuel CD propose notamment une partition de 1944-45, une Fantaisie en sol dans la ligne du néoromantisme, mais on y retrouve aussi des réminiscences de la Renaissance et des séquences qui s’inscrivent dans le souvenir de Schumann. Elle est construite sur sept thèmes de caractères différents : lyrique, harmonique, rythmique, tonique, folklorique, héroïque ou joyeux, qui s’entrelacent au fil de cette partition de seize bonnes minutes et emportent l’auditeur dans un monde onirique. Vingt ans plus tard, Rota compose les 15 Préludes qui ouvrent le CD. Il s’agit de courtes pièces, musique fine ou agitée, tendre ou mélancolique, une fois encore dans un climat néoromantique, mais qui révèlent aussi l’attachement qu’éprouvait Rota pour les petites pièces de Prokofiev, notamment dans le septième prélude, Allegro con spirito, ou pour l’Apollon musagète de Strawinsky que le troisième prélude évoque en motif d’ouverture. Rota explore les lignes chromatiques avec un sens aigu de l’émotion et de l’équilibre sonore. Quant aux 7 Pièces difficiles pour enfants de 1971, elles montrent à quel point le compositeur peut associer la simplicité à la franchise de l’écriture ; ici aussi, l’émotion domine, dans une vraie tendance à la communication, signe distinctif de ce créateur qui maniait si bien les liens entre l’image et la musique.

Dans cet enregistrement effectué les 25 et 26 octobre 2017 dans un studio de la petite cité de Fulbeck (district anglais du Lincolnshire), Eleanor Hodgkinson trouve le ton juste pour chaque pièce. Elle donne à cette musique qui paraît « facile » au premier abord une dimension à la fois ludique et détachée qui lui convient, tout en mettant finement l’accent sur la part de lyrisme, de sensibilité délicate et de chaleur humaine qu’elle propose à l’auditeur. Une belle découverte, qui donne envie de découvrir la suite de l’intégrale.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

   

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