Le clavecin de Couperin par Frédérick Haas, soustrait aux évidences

par

François Couperin (1668-1733) : Ordres 13, 18, 19, 20, 21, 23, 25 des Troisième et Quatrième Livres des Pièces de clavecin. Frédérick Haas, clavecin. Mai 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 65’23 + 80’44. Deux CD Hitasura HSP 008

Sept Ordres : le programme se superpose parfaitement au double-album que Frédérick Haas enregistra pour le label Alpha en été 2007 au Château de Ronchinne, complétant ainsi et sans doublon l’intégralité des Livres III et IV. Toujours aux commandes du même Hemsch de 1751 sur lequel l’artiste avait gravé un récital D’Anglebert voilà un quart de siècle (Calliope), et qu’il connaît sur le bout des doigts, de longue date. On s’étonne que le livret, rédigé avec un soin tout littéraire, ne dise mot de ce clavecin, alors que le website de Frédérick Haas n’est pas avare d’admiration quand il en vante « la beauté, la plénitude, la profondeur de sonorités dont la richesse paraît presque surnaturelle ».

La connivence avec cet instrument est nécessaire pour parvenir à un tel contrôle du son et de la couleur de l’instant, vertu essentielle pour ces pages. La complicité crânerait presque dans certaines agogiques tout sauf fluides, particulièrement questionnées dans l’Ordre en fa mineur ici soumis aux frémissements retors : L'âme-en peine au risque du délitement, jusqu’aux ultimes Ombres-Errantes de l’Ordre 25. Sous siccatif ? Aïe. La Verneüilléte s’impose fragmentation et glorification du détail asynchrone et certes prémédité. Mais ces diffractions qu’on entend dans La Fine Madelon sont moins caprices d’interprète (on sait combien Blandine Verlet a poussé plus loin le fantasque ou l’hirsute) qu’appropriation volontariste de l’univers poétique de Couperin. L’Air dans le goût polonois de La Princesse-Marie, titillé puis conclu avec un éclat sans équivoque, prouvent comment le discours brisé de Frédérick Haas sait aussi conquérir les suffisantes clartés de la danse et de la pompe. Celles des grâces naïves (Dans le Goût de Musète de La Croûilli), ou des essaims virtuoses (Le Turbulent plus effronté que jamais, rival de Culbutes hérissées avec un acrobatique tactus). Les distensions convainquent de leur légitimité dans La harpée, comme à l’écoute de la résonance des cordes, éprise de vibrations exactes. Tandis que Les Tricoteuses s’inquiètent de juste maillage.

Ce Couperin-là concentre le caractère (la réplique féminine de Calotins bien piqués), comme il raffine la texture (la marbrure des Maillotins). Il n’a rien de simple ou de galant sous les doigts de Frédérick Haas. Il chante rarement, mais se plaît à l’arrière-pensée, à l’ornement savant, à l’interrogation des courbes, à la surprise des frictions harmoniques, aux confrontations d’humeurs. Cette interprétation n’est pas peu parente des disruptions de l’oncle Louis. Puisqu’on en est aux portraits de famille, La Couperin de l’Ordre 21, agacée et capiteuse, s’inscrit en faux des nobles postures d’un Davitt Moroney au Château du Touvet (Harmonia Mundi, septembre 1987). L’émotion filtre sous les moires, les phrasés s’alambiquent ou s’agacent à l’envi. S’alignent au besoin. Même le badin veut s’inventer des amours fabulées (Les Gondoles de Délos) où le tendre se refuse aux facilités d’usage. Ce Couperin-là est moins de peintre que de graphiste, et son dessin n’a souvent rien d’évident. Il réfléchit et ce tableau nous tend un miroir moins de semblance que d’intelligence. Se reconnaitra-t-on dans La Misterieuse ?

Les oreilles qui ne veulent pas s’y confronter en resteront aux témoignages plus abordables des intégrales de Kenneth Gilbert (Harmonia Mundi, début années 1970), Olivier Baumont (Erato) ou Christophe Rousset (Harmonia Mundi). Les connaisseurs de ces cahiers convoiteront dans ces deux disques d’inépuisables (mais exigeantes) voies d’approfondissement, révélées par un virtuose du clavier mais surtout de l’abrasion des poncifs. En tout cas : le brio de l’instrument, ses nettes saveurs, et l’excellence de la prise de son courtiseront bien des envieux.

Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

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