Scarlatti, un jardin secret de Frédérick Haas

par

Domenico Scarlatti (1685-1757) : Sonates K. 208, 209, 211, 212, 213, 215, 216, 219, 220, 224-227 [Libro 3o de 1753]. Frédérick Haas, clavecin. Mai 2021. Livret en français, anglais, allemand. TT 74’00. Hitasura HSP 009

Le 16 septembre 1981, les micros posés au Festival de Besançon immortalisaient Scott Ross jouant, entre Johann Sebastian Bach et François Couperin, une poignée de sonates de Scarlatti. Le jeune Frédérick Haas les entendit à la radio, les enregistra sur cassette, et se souvient aujourd’hui, dans sa notice au tour sophistiqué, ouvrant le débat sur l’esthétique et surtout l’éthique de l’interprétation, non exempte de dilemmes. Ces centaines de sonates du corpus scarlattien, il les connaît pour les avoir distribuées à un panel de clavecinistes en trente-cinq récitals, en tant que programmateur pour France Musique en 2018.

En ce disque luxueusement emballé, entrepris « pour se faire plaisir », il revient aux sonates admirées en 1981, et les complète par d’autres puisées au troisième recueil conservé à la Biblioteca Nazionale Marciana de Venise, référencées 206-235 au catalogue Kirkpatrick. Sans surprise, Frédérick Haas est aux commandes du Hemsch de 1751 sur lequel il grava un récital D’Anglebert voilà un quart de siècle (Calliope), et qu’il connaît sur le bout des doigts. Le website de l’artiste en vante « la beauté, la plénitude, la profondeur de sonorités dont la richesse paraît presque surnaturelle ». Les ingrédients sont réunis pour un récital éminemment subjectif dans sa conception et sa réalisation. Complaisant ? Que contesteraient alors ces pages intenses ou démonstratives ?! Pourtant, la dimension animale, véhémente, vénéneuse, acrobate du compositeur napolitain se troque ici pour un regard volontiers poète voire contemplatif, qui démine les diableries, et où élégance et grâce ne s’absentent jamais, même dans la K. 216 ou les quatre Allegros qui concluent l’anthologie, ni même dans l’Allegro molto K. 212 d’une somptueuse liquidité.

Le liminaire Adagio è cantabile, ouvrant des horizons distendus, aura donné le ton de l’allure musarde et un brin sybarite qui s’empare des Andante et Andantino aux mœurs courtoises. Mais cette promenade n’est pas celle d’un innocent jardin d’Eden, ne s’ébat pas dans un improbable état de nature qui taxerait l’ingéniosité de ces opus rarement vierges de civilité. « J’aime le luxe, et même la mollesse, Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté, le goût, les ornements : Tout honnête homme a de tels sentiments. », le voluptueux credo voltairien du Mondain répondrait ici, affable et sans croc, à un univers dérivé de Watteau, que Frédérick Haas distille avec un art consommé. Le K. 226 transmué en conversation galante, le K. 227 décalqué en dispute de boudoir : deux instances au sein d’un parcours au style inhabituel, qui relève du jardin secret, et dont le Hemsch discerne sans tarir les délicates fragrances. Par sa fine manière et l’art de dire ses sonates : un florilège affecté tant qu’affectueux, sans équivalent dans la discographie, que tout amateur averti voudra et devra goûter.

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

 

 

 

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