Le concours Svetlanov à Monte-Carlo

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La cinquième édition du Concours de direction d’orchestre  Evgeny Svetlanov faisait escale à Monte-Carlo, sous le Haut Patronage de S.A.R la Princesse Caroline de Hanovre et avec la complicité de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et de Kazuki Yamada, son directeur musical et artistique.

Le jury de cette édition 2022 était présidé par le maestro  Pinchas Steinberg.  A ses côtés :  les chefs Kazuki Yamada et Dmitri Liss, Daishin Kashimoto, Konzertmeister de l'Orchestre Philharmonique de Berlin, Tatjana Kandel, déléguée artistique de l'Orchestre National du Danemark, Anthony Fogg, administrateur artistique de l'Orchestre Symphonique de Boston et directeur du Festival de Tanglewood, David Whelton, ex-directeur du Philharmonia Orchestra de Londres et à l'heure actuelle directeur artistique du Klosters Music Festival ainsi que René Koering, l’un des personnages majeurs  de la vie musicale en France. 

18 candidatures ont été retenues pour se présenter au premier tour sur les 330 dossiers envoyés. Le concours est comme un saut dans le grand bassin d’une piscine : aucune répétition avec l’orchestre pour les candidats. Saluons par ailleurs le travail de “l’homme invisible de ce concours”, le remarquable chef David Molard Soriano, fondateur de l'Orchestre des Jeunes d'Ile de France, qui a préparé l’OPMC en amont du concours afin de  passer en revue toutes les oeuvres  qui sont jouées au Concours et offrir un maximum de confort et de sécurité aux concurrents.

Au premier tour, les candidats ont le choix entre  l'Ouverture des Hébrides de Mendelssohn, le “Scherzo de la Reine Mab” du Roméo et Juliette  de Berlioz, l'Ouverture de la Flûte Enchantée de Mozart et le “Scherzo” de la Suite n°3 de Tchaïkovski. Nous avons entendu 13 fois Mendelssohn, 2 fois Mozart, 2 fois Berlioz et une fois Tchaïkovsky.

Le choix du jury, huit candidats élus au deuxième tour, est justifié mais comme toujours on regrette certaines éliminations  à commencer par la Polonaise Barbara Dragan et la Coréenne Yeo Ryeong Ahn. Leurs prestations étaient de loin supérieures à celles de certains, passés au second tour. Le même sort a été hélas réservé à deux chefs très inspirés et inspirants, l'Espagnol François Lopez-Ferrer et le Géorgien Kakhi Solomnishvili : ils feront certainement une très belle carrière. 

Deux choix  symphoniques sont proposés au deuxième tour :  Petrouchka de Stravinsky ou la Symphonie n°4 de Beethoven. Ensuite, les candidats doivent choisir une œuvre concertante pour violoncelle et orchestre, Schelomo d'Ernest Bloch ou Don Quichotte de Richard Strauss. Thierry Amadi, premier violoncelle solo de l'OPMC est le soliste commun alors que l’altiste François Méreaux le rejoint dans le rôle musical de Sancho. Schelomo sous la baguette du chef l'Israëlo-Américain Ilya Ram, émeut aux larmes. Une fusion totale entre Thierry Amadi et l'orchestre. Ce n'est plus un concours, on assiste à un merveilleux moment musical. Le public est conquis. Son interprétation de la  Symphonie n°4 de Beethoven est respectueuse du style. Il dirige l'orchestre comme on dirige une équipe de sportifs, avec une certaine forme de  décontraction qui en rebute certains.  

Le candidat allemand Jesko Sirvend, est à l'opposé : tout est calculé, précis, métronomique. Il interprète Don Quichotte dans la lignée de Rudolf Kempe. Son interprétation de Petrouchka, assez pesante, fait plutôt penser à une fête de la bière qu'à un théâtre de marionnettes russes. Cependant, sa technique assurée permet aux musiciens de se sentir à l’aise. 

L'Estonien Henri Christofer Aavik, "l'ange venant du Nord" d'une minceur et d'une blondeur étonnantes, est un musicien intègre, honnête et extrêmement doué. Pas de mouvements inutiles, une analyse et une connaissance approfondies des œuvres. Harish Shankar a une forte personnalité. Il fait ressortir toutes les sonorités magiques de l'orchestre. Samy Rachid était violoncelliste et fondateur du Quatuor Arod avant de passer à la direction. Il communique et partage son bonheur par sa très belle gestuelle. Son charisme séduit, mais il lui faut encore un peu d'expérience pour mener l'orchestre au zénith. Nul doute qu'il se rangera très vite dans la Cour des Grands.

Après une courte pause pour la délibération, les noms des finalistes sont communiqués : Henri Christopher Aavik, Euan Shields, Ilya Ram, Jesko Sirvend. 

Pour la finale, les pièces imposées sont Images d'Espagne - Rhapsodie n°1 d'Evgeny Svetlanov, un pastiche à l'instar du Capriccio Espagnol de Rimsky-Korsakov ; et Initiales E.S composée spécialement par René Koering pour le Concours est une oeuvre beaucoup plus intéressante. Les finalistes complètent ce programme par une œuvre : chaque candidat a 1h20 et peut gérer le temps imparti comme il le désire. 

Euan Shields, benjamin du Concours, est le premier finaliste à monter sur le podium.  Il consacre une grande partie du temps imposé à l'œuvre d'Evgeny Svetlanov et on note de belles sonorités et des couleurs contrastées. Il poursuit avec une lecture à vue de la composition de René Koering et termine par une interprétation de La Mer de Debussy qui n'a rien de captivant, il est en mode pilote automatique. Henri Christofer Aavik travaille les détails des partitions imposées avec précision et il clôt sa prestation par une interprétation grandiose de l'Oiseau de feu. C’est déjà un jeune chef très prometteur, digne de la dynastie des Järvi ... à suivre !

Ilya Ram, consacre peu de temps à l'œuvre de Svetlanov mais il fait un travail de recherche très intéressant sur les timbres dans Initiales E.S. de René Koering. Enfin, il galvanise l’orchestre avec une lecture charismatique et humaniste de Tod und Verklärung de Richard Strauss. Jesko Sirvend est un "Maître Artisan" avec une technique de haut niveau, tout est pensé, fignolé, exécuté dans les moindres détails. Cependant, passant en dernier, il bute sur un orchestre épuisé par la succession d'épreuves et sa lecture de la Symphonie n°2 de Schumann est intensément douce et doucement intense.

Les résultats sont surprenants : pas de Premier Prix, mais deux 2es Prix attribués à Henri Christofer Aavik et à Jesko Sirvend. De plus, il n’y a pas de 3e Prix.  Euan Shields et  Ilya Ram repartent avec un diplôme et Ilya Ram est également récompensé du Prix du Public. 

Après tant de belles journées de musique, une organisation exceptionnelle, on termine sur une note amère. Même si la décision de ne pas attribuer de Premier Prix cette année peut se justifier dans l’absolu. De plus, il aurait fallu une journée de relâche avant la finale, autant pour les membres de l'orchestre que pour les candidats, autant pour le jury que pour le public. Malgré tout, on est heureux de découvrir les personnalités de ces chefs en devenir professionnel et on espère revoir bientôt le charismatique Ilya Ram. 

Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, 2 au 5 juin 2022

Carlo Schreiber

Crédits photographiques : Concours Svetlanov

 

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