Jacques Lenot ouvre un peu plus les possibilités post-sérielles

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Jacques Lenot (1945 -) : Propos recueillis. Ensemble Sturm und Klang, Thomas Van Haeperen. 57’16 – 2021 – Livret en : français. L’Oiseau Prophète. 006.

En 2011, l’année de ses 66 ans, la santé lui fait faux bond et l’opération qu’il subit le plonge dans une obscurité forcée et dans une incertitude pénible, qui exigent temps de récupération et énergie de reconstruction : comme une étape vers le retour à la vue, à la vie et à l’écriture, l’orchestration (les six premiers Propos recueillis) et la transcription (les six derniers) de douze de ses propres pièces pour piano, avec ou sans voix et/ou violon (les six Else Lasker-Schüler Lieder, Secrètement à la nuit et les trois nocturnes pianistiques), remettent peu à peu Jacques Lenot devant sa table de travail.

Compositeur autodidacte trempé dans l’avant-garde (il est redevable, entre autres, à Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen ou Györgi Ligeti), celui qui décrit son tempérament comme un alliage de « la rigueur allemande, la fantaisie italienne et la clarté française » propose dans cet album à la gestation longue (sortir de convalescence, rassembler les musiciens, traverser une pandémie), une collaboration avec Thomas Van Haeperen, qu’un programmateur hongrois installé à Lille lui présente -le même crée aussi la rencontre avec le Quatuor Tana, dont résulte le triple disque Le ciel retrouvé. Outre Delectatio morosa que l’ensemble crée au Festival Clef de Soleil en 2017 (son corniste Denis Simándy en assure la direction artistique), Sturm und Klang joue pour la première fois le cycle complet des Propos recueillis (des propos à méditer, mais aussi « cueillis » à nouveau, dans des œuvres existantes) à L’Espace Senghor en 2016 -avant de l’enregistrer, au même endroit, lors des sessions de février de l’année suivante.

Les douze pièces, de format plutôt court (dans un cycle, le bref n’est-il pas le moyen d’accéder à la durée ?), exigent des musiciens (les vents) de nombreux changements d’instruments -le compositeur y travaille ceux de sa prédilection (flûte alto, clarinette en la, cor, alto et violoncelle). Inexorables, elles caressent l’auditeur de l’âpreté de l’abstraction (« Mon discours prend sa source dans le sérialisme ; il en a utilisé les ruptures, l’absence de mélodie, l’harmonie complexe. »), multiplient les sonorités en suspension (Propos recueillis IV), contrastent les climats d’arrière-plan (Propos recueillis VII), cisaillent le propos (Propos recueillis VIII), entremêlent les lignes (Propos recueillis III) ; Lenot travaille sur le matériau sonore, coud des points épineux (l’entêtement de Propos recueillis XI) et délicats à la fois (la mélancolie de Propos recueillis XII) -si du moins la délicatesse peut faire affaire avec le second degré.

Autodidacte, volontairement à l’écart des institutions et du discours normatif (il refuse les propositions d’étudier avec Olivier Messiaen ou à l’Ircam), Jacques Lenot tient à son indépendance -c’est sa propre firme éditoriale, l’Oiseau Prophète, qui publie ses œuvres (partitions, disques…), particulièrement abondantes- et trouve sa liberté, narguant un apparent paradoxe, dans un sérialisme dégagé de la doctrine -et dont il multiplie les possibilités.

Son : 7 – Livret : 5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

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