Le luth d’André Henrich réveille les grâces de Jacques Bittner

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Jacques Bittner (1604-c1672) : Suites en si mineur, mi mineur, la majeur, fa dièse mineur, ut majeur, sol mineur. André Henrich, luth à onze chœurs. J 2021. Livret en anglais, allemand, français. 65’07''. Aeolus SACD AE-10376

Même si Jacob Büttner, possiblement un pseudonyme, provenait d’une ascendance austro-bohème, ainsi que le suggèrent les minces indices biographiques qui nous sont connus, il apparait comme « Jacques Bittner » dans son recueil publié en 1682, probablement à Nuremberg, qui porte un titre français : « Pièces de Lut ». Un des compositeurs de l’aire germanique essentiels dans le répertoire pour cordes pincées, bien avant la génération de Silvius Leopold Weiss (1687-1570). Tout comme son cadet Esaias Reusner (1636-1679), peut-être l’élève de François Dufault, il adopta le style de l’école française de luth et l’adapta, en le pliant à une manière plus galante, et à un art du chant lumineusement latin. « Ornements minutieux, ligne de basse très nourrie, riche polyphonie » caractérisent son esthétique, selon la présentation d’André Henrich dans la notice.

Même si ces pièces apparaissent dans quelques anthologies qui ne sont pas rebutées par cette écriture difficile à ciseler et à animer, peu d’albums ont été entièrement consacrées à Bittner. Et aucun depuis quarante ans ! Le livret cite l’enregistrement, capté au Kasteel van Horst en juillet 1982 pour Accent, de Konrad Junghänel qui fut le professeur d’André Henrich à Cologne. Ce vinyle suivait de peu celui de Klaus Oestreicher, réalisé en juillet 1981 pour le label FSM.

Avec six Suites, l’impétrant propose un programme particulièrement généreux. Et l’interprétation n’est que ravissement. L’instrument à onze chœurs, fait à Munich en 2012 d’après un original de Hans Frei conservé à Vienne, est le complice de cette redécouverte sous les meilleurs auspices. Y compris une superbe prise de son, précise et aérée, qui flatte la moindre irisation. De celles qui libèrent les élytres pour mieux laisser vibrer la souplesse des cordes, et leur frémissement argenté. 

La poésie des Préludes précède des galeries de danses typiques de l’époque (Allemande, Courante, Sarabande, Gigue, ou une Passacaille pour la série en sol mineur). Le non moindre génie de cette interprétation est d’intégrer le décor ornemental dans une veine mélodique spontanément éloquente, qui prend appui sur un contour rythmique aussi ferme qu’inspirant. Quel meilleur exemple que la Gigue de la Suite en fa dièse mineur ? Et l’agogique de la Sarabande en ut majeur, équilibrant l’hésitation calculée et l’élégance du dessin !

Mais à vrai dire l’ensemble du récital relève de la même farine. Finement tamisée. Car l’autre vertu de ces lectures est de ne point peser, ne rien alourdir ni figer, ignorant tout racornissement pour mieux laisser s’exprimer un cantabile qui enchante à tout instant. Et révèle ! Par la grâce du juste mouvement, l’esprit grand ouvert. André Henrich s’approprie la complexité de ces pages, et nous la fait oublier, n’en offrant qu’un prodigieux canevas lyrique qui s’éveille par une déambulation sur le qui-vive, cautionnant la sagacité d’un Paul Valéry : « la marche libre et vive chante de soi-même. Il est impossible de ne pas créer en marchant. »

Christophe Steyne

Son : 9,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

André Henrich

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