Les trois quatuors de la jeunesse féconde de Kalevi Aho

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Kalevi Aho (°1949) : Quatuors à cordes n° 1 à 3. Quatuor Stenhammar. 2021/22/23. Notice en anglais, en finnois, en allemand et en français. 61’ 08’’. BIS-2609.

Fondé en 2002, le Quatuor Stenhammar (Peter Olofsson et Per Öman, violons ; Tony Bauer, alto et Mats Olofsson, violoncelle), porte le nom d’un des plus illustres représentants de la musique scandinave, le Suédois Wilhelm Stenhammar (1871-1927), dont il a gravé l’intégrale des six quatuors pour BIS. Cet ensemble a inscrit à son répertoire une série de compositions nordiques, dont des créations. Le Finlandais Kalevi Aho vient s’y ajouter. Ce créateur prolifique compte à son actif cinq opéras, dix-huit symphonies, près de quarante concertos pour instruments divers, des pages pour orchestre, des pièces pour solistes et de la musique de chambre. Dans ce dernier domaine, le label avait déjà proposé un panorama violon/violoncelle/piano qui s’étendait sur quatre décennies (notre article du 4 juin 2020). 

Avant de partir à Berlin pour se perfectionner auprès de Boris Blacher, Kalevi Aho étudie la composition à Helsinki avec Einojuhani Rautavaara (1928-2016), qui comptera aussi parmi ses élèves Esa-Pekka Salonen ou Magnus Lindberg. Dès 1966 (il a alors 17 ans), Aho écrit un quatuor, qu’il ne retiendra pas pour son catalogue. Il récidive l’année suivante et montre le résultat à son professeur. Dans la notice qu’il signe lui-même, Aho explique que Rautavaara considéra qu’il avait assimilé l’harmonie et les structures formelles tonales et qu’il pouvait commencer ses études en utilisant les ressources de la musique moderne. Ce premier quatuor « officiel » en six mouvements, d’une durée d’un peu moins de trente minutes, revêt un caractère bien douloureux (le weltschmerz typique des jeunes, précise le compositeur), que l’on ressent dès le Moderato initial. Ses résonances n'oublient pas les échos romantiques et s’habillent de transparence, dans un lyrisme qui s’épanouit dans un second mouvement ailé, avant un Presto aux accents prenants qui débouche sur un grave Andante. Il y a de la maturité, gorgée de sève, chez le jeune Aho, qui n’acceptera pourtant la création de ce premier quatuor qu’en 2019, par le Quatuor Kamus, dans un festival organisé en son honneur par sa ville natale de Forssa. Une écoute séduisante, servie avec élégance et une chaleur communicative par les Stenhammar.

C’est toujours au cours de ses études que Kalevi Aho compose en 1970 son Quatuor n° 2, qui sera créé la même année par le Quatuor Finlandia, qui se chargera aussi de la première en public du Quatuor n° 3 et du futur Quintette pour hautbois (1973). Plus concis que le précédent (trois mouvements en quinze minutes), le n° 2 est lié à la technique de la fugue, avec son thème de l’Adagio inaugural qui semble fuir de façon méditative entre les instruments, avec, comme le définit Aho, une sorte de « verrou psychologique » en son milieu, qui le délivre. L’inspiration juvénile est au rendez-vous dans un Presto enlevé et un autre Adagio, conclusif, qui incite à la réflexion.

Dès 1971, le Quatuor n° 3 vient s’ajouter aux partitions antérieures. Les huit mouvements qui le composent sont joués sans interruption, pour une durée globale d’un peu moins de vingt minutes. Ici, on est face à une œuvre plus complexe, dont Rautavaara fera l’éloge, entre phases chromatiques, fantaisie, légèreté et rythmes dynamiques, que Aho résume ainsi : l’évolution de l’œuvre peut être décrite comme un périple allant de l’innocence du début à une complexité toujours plus grande, après quoi le retour à la simplicité n’est plus possible. L’innocence est ainsi perdue à jamais. Est-ce en fonction de cette constatation que Kalevi Aho attendra cinq décennies avant de composer, en 2021, deux autres quatuors ? Entretemps, la musique orchestrale l’aura occupé en abondance.

Le Quatuor Stenhammar donne de ces pages de jeunesse des versions attachantes, bien construites, et attentives aux couleurs subtiles et variées que le compositeur y a installées. Il n’a pas de rival dans la discographie : à notre connaissance, seul le Quatuor n° 3 a fait l’objet d’une gravure par le Quatuor Sibelius pour le label Finlandia (1986), avec un quatuor d’Erik Bergmann en complément. Ce nouvel album BIS enrichit la connaissance d’un créateur polyvalent de notre temps.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

Chronique réalisée sur la base de l’édition SACD.

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