Le piano seul de Richard Strauss : une fructueuse aventure juvénile 

par

Richard Strauss (1864-1949) : Intégrale de la musique pour piano : Fünf Klavierstücke op. 3 ; Sonate op. 5 ; Stimmungsbilder op. 9. Guillaume Bellom, piano. 2023. Notice en français et en anglais. 71’ 00’’. Mirare MIR618.

On a vite fait le tour de la production straussienne pour le piano seul : trois partitions de jeunesse, qui datent d’avant sa vingtième année, et qui s’inscrivent dans une ligne romantique où l’on retrouve diverses influences. Un ensemble considéré comme secondaire dans le catalogue du Bavarois, qui n’est cependant pas à négliger, et dont la discographie propose des versions de Frank Braley (Harmonia Mundi, 1998), Oleg Marshev (Danacord, 1999), Sascha Zolotarev (Audite, 2000), Stefan Veselka (Naxos, 2006), Darrio Bonnuccelli (Dynamic, 2016), et, prioritairement, Glenn Gould (CBS Masterworks, 1984, réédition Sony, 2007). Pour le virtuose canadien, qui jouait les opus 3 et 5, il s’agissait de son dernier enregistrement de studio avant sa disparition. Le pianiste français Guillaume Bellom (°1992) propose aujourd’hui, pour Mirare, une nouvelle présentation de ces pages d’un compositeur en devenir.

Formé au Conservatoire de Besançon dont il est originaire, Guillaume Bellom a poursuivi sa formation au CNSM de Paris avec Nicholas Angelich et Hortense Cartier-Bresson. En 2016, il remporte le prix Thierry Scherz, aux Sommets musicaux de Gstaad ; dans la foulée, il enregistre un récital Schubert, Haydn, Debussy pour Claves. Viennent ensuite des programmes à quatre mains (Schubert et Mozart) pour Aparté avec Ismaël Margain, et de musique de chambre avec le Quatuor Girard pour B Records (Saint-Saëns) et, pour Fondamenta, des pages de Schubert, Mendelssohn et, déjà Richard Strauss, avec le violoncelliste Yann Levionnois, lauréat du Concours Reine Elisabeth 2017. Le présent album est donc le deuxième en solo de Bellom. Dans un texte de présentation, le pianiste fait état de son émerveillement suite à la découverte du disque de Glenn Gould, suscitant une envie encore plus forte de défendre et faire connaître un répertoire pourtant magnifique et passionnant.

Compositeur précoce et prolixe (déjà 150 œuvres à son actif à la fin de sa scolarité en 1882 - sa première symphonie a été créée en 1881 par Hermann Levi -), Richard Strauss écrit à dix-sept ans ses Fünf Klavierstücke op. 3, où l’on retrouve l’affection qu’il éprouve pour Schumann, entre calme (Eusebius) et impétuosité (Florestan). Bellom y voit aussi l’influence de Bach et de son art du contrepoint, et une thématique héroïque dans les deuxième et cinquième mouvements, des allegros. Le pianiste français trouve un ton juste pour souligner ces divers aspects et, dans le Largo central, que d’aucuns ont trouvé d’un intérêt relatif, à tort selon nous, il épingle un côté pensivement émotionnel. 

C’est en cette même période de l’hiver 1880/81 qu’est écrite la Sonate op. 5, après deux essais non publiés. Le premier mouvement, Allegro molto appassionata se souvient dès le début de la Cinquième de Beethoven et de son thème du destin (il y a plus mauvaise réminiscence !), alors que c’est plutôt Mendelssohn qui est évoqué dans le séduisant Adagio cantabile, puis dans un Scherzo vif-argent et un Allegretto vivace final où pétille l’enthousiasme juvénile. On se surprend à prendre bien du plaisir à écouter une partition que l’on ne fréquente pas souvent, mais dont le charme, la souplesse, le rythme et l’agilité sont mis en évidence par Guillaume Bellom, qui y voit le déploiement d’une véritable dramaturgie, ce dont son interprétation nous convainc aisément.

L’opus 9, les Stimmungsbilder (1882/84) est sans conteste la plus belle partition pour piano de Richard Strauss. Ces cinq pièces aux sous-titres qui évoquent la forêt, une source solitaire, un paysage de lande ou une rêverie démontrent une maturité en évolution. On y admire particulièrement la séduisante deuxième (An einsamer Quelle), pleine de fluides frémissements -Liszt n’est pas si loin-, et la quatrième (Träumerei), dont la douceur rappelle la tendresse schubertienne. Bellom fait ici la démonstration d’une sensibilité en éveil ; on lui sait gré d’avoir investi ces pages pour piano, un peu déconsidérées, qui, sous ses doigts, revêtent de beaux atours. 

Son : 9  Notice : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.