A Genève, un duo d’exception, Renaud Capuçon – Nelson Goerner

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Pour chacune de ses saisons, l’Agence Caecilia organise deux séries de concerts, une première qui a lieu au Victoria Hall comportant récitals de piano et soirées symphoniques et une seconde se déroulant à la Salle Centrale dédiée à la musique de chambre. Et c’est donc dans cette catégorie que s’est inscrite, vendredi 1er novembre, la rencontre mémorable de deux artistes talentueux, le violoniste Renaud Capuçon dialoguant avec le pianiste Nelson Goerner.

La première partie est consacrée à Mozart et à l’une de ses sonates écrite à Mannheim en février 1788, la Cinquième en la majeur K.305, n’incluant que deux mouvements. Avec une énergie roborative, le piano développe l’Allegro di molto où le violon glisse une note de mélancolie avant de laisser à son partenaire le soin d’exposer le thème élégant, suscitant de brillantes variations à la saveur primesautière. Puis est présentée la Sonate en si bémol majeur K.454, composée en avril 1784 pour la virtuose italienne Regina Strinasacchi, que Mozart lui-même accompagnera le 29 en jouant de mémoire sa partie qu’il n’avait pas eu le temps de rédiger ! Au Largo initial, violon et piano prêtent un coloris mordoré que l’Allegro innervera d’élans fougueux en articulant soigneusement chaque phrasé. L’Andante livre un intimisme au bord des larmes, s’assombrissant pour laisser échapper un cri du cœur, vite réprimé par une aspiration à la sérénité qu’octroiera le Finale avec une légèreté de touche apparemment enjouée.

En seconde partie, le duo propose une œuvre de vaste dimension, la Sonate en mi bémol majeur op.18 écrite en 1888 par un Richard Strauss de vingt-quatre ans, mêlant effluves wagnériennes et romantisme crépusculaire brahmsien. Généralement laissée de côté par la plupart des violonistes, elle a néanmoins suscité l’intérêt de Jascha Heifetz et de Ginette Neveu qui en réalisèrent de mémorables gravures discographiques. De l’Allegro ma non troppo initial, Renaud Capuçon dégage le souffle pathétique dont Nelson Goerner fait émerger la veine lyrique porteuse d’expression soutenue. L’Improvisation tient ici de la berceuse aux soyeuses demi-teintes nimbées d’étrangeté, cédant le pas à un épisodique agitato qu’apaisera le retour du motif de base. Puis à la suite d’un sombre andante de quelques mesures se profilera le finale que le violon dominera d’accents impérieux sur la houle déferlante du piano, provoquant les hourras d’un public conquis. Comment ne pas émettre le vœu que les deux solistes jouent régulièrement ensemble, à l’instar des mythiques Francescatti- Casadesus ?    

Paul-André Demierre

Genève, Salle Centrale, le 1er novembre 2019

Crédits photographiques : Simon Fowler

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