Le Salve Regina et l’italianisme à l’heure baroque, deux nouvelles parutions

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Salve Regina, motets by Hasse & Porpora. Johann Adolph Hasse (1699-1783) : Hostes Averni ; Alma redemptoris Mater. Nicola Porpora (1686-1768) : Salve Regina ; Nisi Dominus. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos pour cordes en sol mineur et en fa majeur RV 154 et 136. Clint van der Linde, contreténor. Les Muffatti. Livret en anglais, allemand, français (paroles en latin et traduction en anglais). Mars 2021. TT 68’54. Ramée RAM 2102 

Salve Regina. George Frideric Haendel (1685-1759) : Adagio-Allegro [The Lord is my Light HWV 255], Presto [Acis & Galatea HWV 49]. Salve Regina HWV 241. Praise the Lord with cheerful voice [Esther HWV 50]. Gloria HWV deest. Silete Venti HWV 242. Tu del Ciel ministro electo [Il Trionfo del tempo HWV 46a]. Julie Roset, soprano. Leonardo García Alarcón, Millenium Orchestra. Livret en anglais, français, allemand (paroles en anglais, latin et italien, traduction en anglais et français). Septembre 2021. TT 73’49. Ricercar RIC 442 

Le Grand Tour du jeune Anversois Corneille-Jean-Marie van den Branden (1690-1761) stimule ce disque qui nous propose des inédits, dont un en lien avec les archives de l’archevêché de Malines, dépositaire de manuscrits légués par ce Seigneur de Reeth. Parmi ces découvertes, le Nisi Dominus écrit dans les années 1710 par Nicola Porpora, dont le CD invite aussi le Salve Regina en fa majeur dédié à Zabetta, célèbre contralto pensionnaire de l’Ospedale degli Incurabili à Venise. L’autre figure de ce récital est un élève et rival du compositeur napolitain, qui comme lui connut une carrière nomade, et qui lui succéda d’ailleurs comme maître de chapelle dans cet Ospedale : Johann Adolph Hasse, émané de la Cour de Brunswick-Lunebourg. Au sein de son important catalogue lyrique, voici Alma redemptoris Mater qui se rattache à la célébration mariale, et Hostes Averni dans sa version conservée au Conservatoire de Bruxelles, une des douze sources identifiées pour ce motet et qui reçoit ici son tout premier enregistrement.

Dans sa notice, Clint van der Linde nous explique avoir choisi de présenter ces quatre œuvres sacrées en commençant par les plus graves pour terminer avec les plus aiguës, les plus dramatiques. La voix mixte est garante de la variété des couleurs sur l’ambitus. La manière italianisante, aux portes du style galant, se voit traitée en respectant la veine tantôt opératique (le Hostes Averni ornementé dans le da capo), tantôt introvertie. En privilégiant « les grands arcs d’expression plutôt que se limiter au détail », le contreténor s’offre une vocalisation ample et un souffle contrôlé, que ce soit dans le trait ciselé ou les phrases étirées. Pour faire bonne mesure, le CD est complété par deux brefs concertos de Vivaldi, que Van den Branden rencontra en toute modestie dans les ruelles de la cité sérénissime : les archets de l’ensemble Muffatti abordent ces intermèdes avec une palette moelleuse, tout à l’image d’une prestation vocale très léchée.

Le Salve Regina, mais pas que. Cette anthologie toute vouée au Care Sassone s’entend comme un tribut à la période italienne de Haendel (1706-1710) mais aussi plus largement comme « une transposition musicale des mille et une facettes de la psychologie humaine » et une valorisation d’un art sans pareil « de la mélodie dédiée à la voix », nous dit la notice signée de Marc Maréchal. Introduite par un concert instrumental emprunté à la Bibliothèque d’Uppsala (un assemblage tiré d’un anthem et d’un Masque), et guidé par l’inspiration au long cours du Millenium Orchestra qui semblerait prêt à avaler un opéra, le récital aligne l’antienne mariale, un extrait de l’oratorio Il Trionfo del tempo, et ce Gloria de paternité douteuse avant son authentification par le professeur Joachim Marx. On y apprécie les vocalises agiles de Julie Roset (Quoniam tu solus sanctus, Leonardo García Alarcón ronge le frein), tandis que le Salve Regina montre une voix studieuse, blême et sans couleur, au galbe tendu et pour tout dire peu flatteur, rétif à la tendresse du sujet.

Ce timbre monochrome s’assouplit et s’enrichit néanmoins dans le chant de louange Praise the Lord with cheerful voice agrémenté de l’éloquente harpe de Marie Bournisien. Quand Esther fut représenté au King’s Theatre en 1732, le compositeur était déjà retourné en Italie : c’est certainement là, parti recruter des solistes pour la scène londonienne, qu’il rédigea son Silete Venti, pièce principale de ce CD (une petite demi-heure). Après la Symphonia enfiévrée par l’orchestre, on peut apprécier la saine ventilation et le registre lumineux de la soprano, qui exploite sa voix comme un ductile instrument, presque indifférent au texte. Au-delà du brio, l’italianisme ne s’accommoderait-il d’une expression moins droite, qui ne semble là que pour poser des notes, si maitrisées soient-elles jusque dans les cimes (la conclusion du Dulcis amor Jesu) ? Dommage que l’ensemble de ce motet ne soit à l’image du « Surgent venti », où Julie Roset semble enfin prête à fendre l’armure pour ces vents qui se lèvent.

Ramée = Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9

Ricercar = Son : 8,5 – Livret : 8,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 7

Christophe Steyne

 

 



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