Le Schubert de Jordi Savall entre neutralité polie et irrépressible élan

par

Schubert Transfiguration. Franz Schubert (1797-1828) : Symphonies n°8  en si mineur, D. 759,  « Inachevée »  et  n° 9 en ut majeur,  en si mineur, D. 944, « La Grande ». Le Concert des Nations, direction : Jordi Savall. 2022 - Textes de présentation en français, anglais, espagnol, catalan, allemand, et italien. 2 CD Alia Vox AVSA9950

Après une intégrale des symphonies de Beethoven -saluée avec enthousiasme dans ces colonnes par Christophe Steyne et l’auteur de ces lignes- où un vrai sens de la redécouverte s’alliait à un enthousiasme et une chaleur peu communes, c’est avec le plus grand intérêt qu’on découvre cette parution reprenant les deux dernières et plus belles symphonies de Schubert.

Il y a bien sûr beaucoup des choses intéressantes à relever dans ces interprétations historiquement informées rigoureusement pensées et d’une grande droiture. La sonorité de l’orchestre est bien sûr nettement dégraissée par rapport aux grandes formations symphoniques habituelles et la texture que le chef obtient de cet ensemble de près de 70 musiciens est agréablement transparente dans les pupitres de cordes auxquels s’ajoutent des bois naturellement chantants et des cuivres fermes et très sûrs ainsi que des timbales propulsant dans leurs interventions le discours avec beaucoup d’énergie et une rudesse bienvenue.

On salue aussi la mise en place impeccable et la modestie (on est tenté de dire : l’humilité) d’un chef qui ne se donne pas le rôle d’un démiurge inspiré, mais d’un primus inter pares loin de toute métaphysique au point de nous donner l’impression que la musique se joue toute seule. Mais le résultat de cette impeccable probité déçoit, en particulier dans l’Inachevée. En dépit de la participation sans réserves d’un orchestre appliqué et impliqué, l’interprétation ne décolle pas. Certes, les tempi sont allants, bien choisis, et les passages lyriques aimables, mais on ne peut se défaire de l’impression que le drame ne jaillit pas de la musique mais est plaqué dessus. Bien sûr, la partition est parfaitement respectée mais il y a une neutralité interprétative, un refus de galber la musique, d’y ajouter ce qui n’est pas dans les notes qui étonne. De même, en dépit des beaux accents populaires que Savall met bien en avant dans ces passages à caractère de Ländler, l’Andante con moto ne retrouve pas ce goût de paradis perdu que d’autres ont su si bien évoquer. Honnêtement, on ne peut que constater qu’il y a un côté pétard mouillé dans cette version où, en dépit d’une présentation plus que correcte de la musique, on passe son temps à attendre qu’il se passe enfin quelque chose. Plusieurs auditions ne font que confirmer cette curieuse impression. Il suffit d’ailleurs de retourner à un grand classique de l’interprétation de cette Inachevée, en l’occurrence la gravure que nous a laissée de Bruno Walter à la tête du Philharmonique de New York en 1960, pour voir la différence entre une version convenable et une interprétation véritablement incandescente (même si le deuxième mouvement prend près de 14 minutes, comparé au 9’57 de Jordi Savall).

La Grande Symphonie s’ouvre sur une introduction poétique (belle prestation du cor solo) et un passage à l’Allegro non troppo négocié avec beaucoup de naturel par le chef qui met intelligemment en avant la cohérence de l’argument symphonique dans une interprétation qui gagne certainement en assurance par rapport à l’Inachevée, alors que le Più moto qui conclut le mouvement est énergique sans être pour autant cravaché. Si le merveilleux Andante s’ouvre sur un solo de hautbois à la sonorité délicieusement champêtre, on ne peut pas dire que Savall y fasse preuve dans un premier temps d’une tendresse particulière, même si son approche gagne peu à peu en chaleur avant que le mouvement ne se termine sur une note de réelle grandeur. En dépit de plusieurs beaux moments de poésie et de tendresse, la persistante impression générale est que le chef choisit de s’effacer derrière la musique, très proprement jouée mais assez peu interprétée.

Cependant -et alors qu’un léger découragement tend à gagner l’auditeur-les choses se mettent  soudain parfaitement en place à partir du Scherzo, où l’interprétation acquiert tout à coup une vie, un élan, un engagement qu’on n’attendait plus. Le mouvement est abordé avec un très convaincant naturel et une légèreté qui semble déjà regarder vers Mendelssohn. Le Trio, tout en tendresse, est rendu dans une splendide atmosphère de rêverie. Tout ici est parfaitement juste et la musique nous parle enfin.

Gai, plein d’allant, bondissant, le Finale est une véritable réussite, placé qu’il est sous le signe 

d’une énergie, d’un enthousiasme, d’un vitalisme qui emportent tout devant eux. On sait que chez Schubert, le risque est souvent de se perdre en chemin, mais Savall offre ici une approche superbement cohérente et d’un seul tenant.

Ah, si le reste de l’album avait été aussi bien interprété, nous aurions certainement tenu ici une version de premier plan plutôt qu’un enregistrement où le convenable côtoie l’excellent. 

Son: 10 - Livret: 10 - Répertoire: 10 - Interprétation: 6 (Symphonie Inachevée, Deux premiers mouvements de la  Symphonie n°0), 10 (Scherzo et Finale de la Neuvième Symphonie).

Patrice Lieberman

 

 

 

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