Le Turc en Italie à l’Opéra de Lyon
En collaboration avec le Théâtre Real de Madrid et le Nouveau Théâtre de Tokyo, l’Opéra de Lyon donne le Turc en Italie de Rossini du 11 au 29 décembre. Comme souvent chez Rossini, l’œuvre est pleine de vie, donc exigeante tant à la fosse qu’à la scène. Le Turc en Italie tient autant des opéras de Mozart, surtout de la trilogie avec Da Ponte et notamment du Cosi fan tutte, avec le travail sur deux couples s’entrecroisant, que du Don Pasquale de Donizetti avec l’utilisation du barbon comme personnage-pivot.
Le metteur en scène Laurent Pelly choisit de prendre cet opéra buffa en un roman-photo italien des années ‘70. Optique aussi maline qu’amusante, tant elle fait rendre compte que, malgré le luxe musical offert par Rossini, les mélimélodrames des personnages ne sont que des histoires de petits bourgeois, un roman-photos en somme. Ainsi, les décors de Chantal Thomas sont le plus souvent des casses, des pages et des couvertures de romans-photo tout au long du drame. La maison du couple Don Geronio - Dona Fiorilla et celle du poète semblent elles aussi sorties de ces magazines, ainsi que les costumes des protagonistes imaginés par Laurent Pelly.
Une autre idée très futée de Laurent Pelly est que le poète, pour sortir de ses difficultés de rédaction, au lieu de puiser dans les romans de chevalier, la bible ou la mythologie, comme le firent les opéras seria depuis Haendel jusqu’à Rossini lui-même, regarde, observe et note la vie de ses voisins.
Une autre qualité de cette production est l’homogénéité du plateau vocal. Ainsi de Filipp Varik en Albazar à Alasdair Kent en Don Narciso, en passant par Don Narciso en Selim et Renato Girolami en Don Geronio chez les chanteurs, et de Jenny Anne Flory en Zaïda à Sara Blanch en Donna Fiorilla, toute la distribution fait troupe. La facilité avec laquelle les cantatrices, et notamment Sara Blanch en Donna Fiorilla, réussissent à chanter leurs difficiles partitions est proprement remarquable. Sara Blanch notamment, parce que tout en chantant, elle minaude, se tord et bouge constamment. Les hommes ne sont pas en reste, Alasdair Kent en Don Narciso, qui chante pratiquement tout le temps seul, montre ici des qualités belcantistes proches du heldentenor plus que saisissante. Nonobstant, malgré que Adrian Sâmpetrean en Selim possède un baryton très viril et clair, la froideur de son expression vocale est regrettable, et son jeu scénique très caricatural, ce qui finit par lasser. Renato Girolami en Don Geronio garde une bonne assise dans son baryton, et une chaleur contrastant avec la froidure d’Adrian Sâmpetrean.
La très bonne compréhension de la partition du chef d’orchestre Giacomo Sagripanti, qui non seulement accompagne le drame scène à scène, mais le commente avec l’orchestre ne fait qu’augmenter le plaisir d’y assister. Il utilise pour cela, outre des cordes vivaces et malicieuses, de très bons pupitres des vents, comme les cors ou les bassons, dont le velouté et le rebond dès l’ouverture dialoguent espiègles avec les violons.
L’exagération gâte légèrement la première partie de l’opéra, cependant. Ainsi les cadres tombant du plafond, dans lesquels les personnages se placent pour chanter, le caricatural de la gestuelle et des attitudes de Selim. Le chœur, qui par ailleurs montre un très bel unisson, reste souvent fort statique tandis qu’il chante. Mais cela n’est pas grand-chose. La joie, l’humour, l’espièglerie de cet opéra buffa font passer une très bonne soirée Au lieu de la grossière et fort datée Fille du régiment de l’opéra Bastille, c’est une production comme celle-ci qu’on n’aurait aimé voir à Paris.
Lyon, Opéra, le 13 décembre 2024
Andreas Rey
Crédits photographiques : Paul Bourdrel