Flagey Piano Days 2025 : András Schiff sublime, Angela Hewitt remarquable
Chaque année se tiennent au mois de février les Flagey Piano Days, cinq journées passionnantes pour les pianophiles qui se se réjouissent tout autant de retrouver dans le cadre du paquebot des Étangs d’Ixelles aussi bien des grands noms à la réputation établie que de découvrir des talents prometteurs.
Pour cette édition, notre choix s’était porté sur deux pianistes de premier ordre qui, curieusement, ne s’étaient encore jamais produits dans l’acoustique parfaite du Studio 4 de ce qui fut la Maison de la radio.
Pour ouvrir ces Piano Days, les organisateurs avaient fait appel à András Schiff, un pianiste dont la longue carrière a été l’illustration non seulement de dons musicaux et pianistiques hors du commun, mais aussi d’une volonté d’aborder les oeuvres dans un remarquable mélange de modestie, d’érudition et de volonté d’interroger les textes au plus près sans jamais vouloir briller aux dépens de l’intégrité musicale. (Ceux qui aimeraient en savoir plus sur les conceptions de ce grand artiste pourront liront avec intérêt le livre La Musique naît du silence publié chez Alma Nuvis en 2018, regroupant des entretiens de Schiff avec le critique Martin Meyer et des textes dûs au pianiste lui-même.)
Pour ce récital donné devant une salle comble au point que des chaises avaient été rajoutées sur la scène et auquel assistaient également le Roi Philippe et la princesse Eléonore, András Schiff n’avait pas prévu de programme à l’avance et prit chaque fois la parole dans un très bel anglais -on n’est pas Sir András Schiff pour rien- pour annoncer les morceaux interprétés. Le récital s’ouvrit par le Caprice sur le départ de son frère bien-aimé BWV 992 de Bach, compositeur que Schiff a toujours superbement défendu, combinant son impeccable formation pianistique à l’Académie de Budapest avec un apprentissage ultérieur auprès du claveciniste britannique George Malcolm. Dès l’abord, on ne peut qu’admirer la sonorité pleine et riche, l’articulation soignée, le parfait équilibre des voix et la souplesse féline du pianiste. Suit alors la Sonate N° 17 en si bémol majeur K. 570 de Mozart. Dans l’Allegro introductif, Schiff fait entendre un Mozart sobre et précis, sans joliesse indue. Les traits de virtuosité sont invariablement limpides et d’une irréprochable égalité. Après un Adagio d’une belle et digne simplicité, l'œuvre se conclut sur un Allegretto, abordé avec gaieté mais sans exubérance, montrant à quel point Schiff prend le compositeur au sérieux.
Suivent alors les Variations en fa mineur, dernière œuvre pour piano de Haydn. Dans son introduction, Schiff regretta avec raison le fait que cet immense compositeur soit encore trop souvent sous-estimé. Cette superbe et si touchante oeuvre fut magnifiquement défendue par le pianiste, dont la maîtrise impressionna autant que cette façon de jamais n’en faire trop.
Annonçant le morceau suivant, la Sonate La Tempête Op. 31 N° 2, András Schiff indiqua qu’il suivrait à la lettre les indications -souvent contestées- d’usage de la pédale telles qu’indiquées par le compositeur. A nouveau, on ne peut qu’admirer tout autant la virtuosité mise au service de l'œuvre que l’intelligence de la forme d’un interprète qui sait toujours où il va et pourquoi.
Si à l’issue de ce programme on en était déjà arrivé à quelques 80 minutes de musique sans interruption, Schiff -avouant lui-même qu’il n’avait pas prévu de jouer l’oeuvre- offrit au public de Flagey un sublime bis de quelques 40 minutes sous la forme de la Sonate en sol majeur D. 894 de Schubert, dont il offrit une exceptionnelle interprétation. Sa façon de laisser parler la musique par et pour elle-même n’est rendue possible que par une connaissance analytique parfaite de la partition mais qui n’est en rien sèche ou pédante. Comme il réussit, parmis tant d’autres superbes moments, à rendre le côté doux-amer si typiquement schubertien de l’Andante, ou encore ce Minuetto où il saisit parfaitement cette ambiguïté si typique du compositeur où derrière l’élan juvénile et la gaieté de la musique sourd une étrange inquiétude.
Applaudi à tout rompre par une salle justement conquise, Schiff offrit encore trois bis, dont l’Allegro introductif de la Sonate facile K. 545 de Mozart pris à un tempo qui découragerait plus d’un apprenti pianiste avant de conclure sur un premier mouvement du Concerto italien de Bach plein d’esprit et d’alacrité, mettant fin ici à un enchanteur marathon musical de deux heures sans entracte.
Pour sa première venue à Flagey, la pianiste canadienne Angela Hewitt avait choisi de mettre à son programme deux concertos pour piano de Mozart, le célèbre N° 24 en do mineur, K. 491 et le bien moins populaire N° 15 se si bémol majeur, K. 450. Accompagnée par le Brussels Philharmonic et son chef Kazushi Ono qui se firent entendre entre les deux concertos dans une version de la Symphonie Haffner de Mozart interprétée avec franchise mais peu de subtilité, la pianiste canadienne montra particulièrement l’étendue de son talent dans le Concerto en ut mineur. Accompagné par un orchestre chaleureux et attentif (et aux cordes jouant sans vibrato), Hewitt aborde ces deux concertos dans un classicisme aussi équilibré que vivant. On admire sa sonorité chantante, son impeccable legato où n’elle n’use que très peu de la pédale, son impeccable mécanisme tel que démontré dans des traits et des trilles d’une parfaite égalité, mais aussi cette façon qu’elle a de faire couler la musique de source et apparemment sans effort. Cette approche qui combine technique parfaite, intelligence toujours en éveil et classicisme sans froideur rappelle beaucoup ce que faisait en son temps Robert Casadesus dans ses célèbres enregistrements de concertos de Mozart avec George Szell.
Oeuvre moins grandiose, le Concerto N° 15 -qui eût mérité un accompagnement plus raffiné que celui plein de bonne volonté mais pas particulièrement subtil de l’orchestre et de son chef- fut tout aussi bien servi et se termina sur un Allegro plein d’esprit.
Le public ravi eut droit à un très beau bis sous la forme d’une Sonate de Scarlatti.
Bruxelles, Flagey, 12 et 14 février 2025.
Crédits photographiques : Nadia F.Romanini