L'école belge de violon (IV) : Eugène Ysaÿe et après
Crescendo-Magazine reprend un dossier consacré à l'école belge de violon publié en avril 2002 sous la plume de Michèle Isaac.
Des disciples à travers le monde
Avec Ysaÿe, on semble avoir atteint le point de non-retour. En d’autres termes, l’École belge du violon qui a trouvé la majeure partie de ses racines en terre liégeoise, semble ne plus avoir produit de virtuoses dignes de rivaliser avec des Vieuxtemps, Léonard, Heynberg, Marsick et Ysaÿe. Évidemment, l’évolution de la politique artistique en notre pays ainsi que certaines priorités sociales et économiques ont considérablement appauvri la lignée musicale et violonistique en particulier. En cela, Eugène Ysaÿe, suivi par la Reine Elisabeth, a été visionnaire en voulant créer une compétition musicale de grande renommée.
Mais il ne faut cependant pas en conclure que l’École qui a fait le renom d’un tout petit territoire s’est aujourd’hui décimée pour ne laisser que des souvenirs impérissables. Loin de là cette idée, il suffit de percer les parcours musicaux de nombreux grands violonistes pour s’apercevoir que l’École belge a influencé durablement l’avenir du violon international. Par conséquent, si l’on aime apposer l’étiquette d’”Ecole” et dès lors distinguer nettement l’École russe de la belge, on risque de se contenter d’une vision restrictive. De fait, il existe une interpénétration entre les divers courants musicaux et c’est ce qui fait incontestablement la richesse de l’art. Ainsi, on remarque que des maîtres tels que George Enesco (Liveni-Virnav 1881-Paris 1955), élève du Liégeois Marsick à Paris, a pris en charge le destin de Yehudi Menuhin mais également d’Arthur Grumiaux, dernière grande gloire belge du violon qui est parvenu à s’imposer en tant que soliste mais aussi en tant que pédagogue.
Le Français Augustin Dumay a reçu au Conservatoire de Bruxelles son enseignement ainsi que celui de Szeryng et de Nathan Milstein. Ce dernier, s’il appartient incontestablement à la tradition russe prônée à l’origine par Léopold Auer, qui du reste a succédé à Henryk Wieniawski, est un disciple d’Eugène Ysaÿe à partir de 1925!
David Oistrakh, colosse à plus d’un titre, a été propriétaire durant de longues années d’un Stradivarius daté de 1710 prénommé affectueusement le “Marsick”! Lauréate de la même “première fournée” de ce Concours Ysaÿe de 1937, Lola Bobesco fait toute sa carrière en Belgique, notamment au Conservatoire de Liège entre 1962 et 1974.
Citer tous les violonistes belges -et étrangers- ayant reçu leur enseignement demeure une gageure. Dénombrer les Quatuors célèbres découlant de ces maîtres de l’archet semble être tout aussi complexe. Mais le but n’est-il pas avant tout de souligner l’action déterminante de ces professeurs extraordinairement fidèles à leur technique, à leur amour pour la musique?
D’abord préoccupés par les “bons éléments” qui assimileront leurs leçons, ces violonistes-pédagogues ne cherchent pas nécessairement à produire des virtuoses mais des musiciens sensibles et intelligents. Si la technique est essentielle, la manière d’aborder une œuvre, en d’autre termes, son interprétation, domine le discours du maître. Illustrant cette pratique, Arthur Grumiaux résume à lui seul les idéaux d’un siècle et demi d’école. Avare de paroles, il a privilégié le geste aux longues explications techniques afin d’inciter l’élève à trouver seul la voie d’interprétation qui lui convient. En 1984, soit deux ans avant sa disparition, la revue L’Âme et la corde publie ces réflexions:
“Il est très difficile de préciser une méthode d’enseignement. La raison en est que les élèves ne se ressemblent pas et qu’il faut presque toujours employer, parfois inventer, des moyens très différents pour arriver au but (final). Ce but, les élèves très doués l’atteignent à condition qu’ils ne se croient pas prématurément des petits Paganini! Avec beaucoup de persévérance, les élèves moyennement doués, qui sont les plus nombreux, arrivent à un plafond: ils deviendront de bons violonistes, mais aucune méthode au monde ne pourra les faire dépasser une certaine limite. Quant aux non-doués -souvent ils sont les plus travailleurs-, malgré des trésors de patience de leur professeur et toutes les subtilités dont celui-ci pourra user, aucun espoir. Il est difficile d’extraire du jus d’une pierre. Néanmoins, quelques-uns de ces élèves y mettront tant d’acharnement, qu’un jour peut-être, ils pourront tirer ses dons potables d’un violon mais hélas ils ne feront que végéter.
Michèle Isaac
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