L'école belge de violon (III) : Eugène Ysaÿe

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Crescendo-Magazine reprend un dossier consacré à l'école belge de violon publié en avril 2002 sous la plume de Michele Isaac.

Alors que tous les violonistes énoncés ont apporté leur contribution à l’édifice violonistique national et mondial, il en est un qui demeure le plus merveilleux d’entre tous. Eugène Auguste Ysaÿe (Liège 1858-Bruxelles 1931) doit sa notoriété immuable à sa carrière de soliste virtuose mais également à son rôle prépondérant dans la création d’un des plus prestigieux concours de musique.

Tandis que son père est violoniste et chef d’orchestre à l’opéra de la Cité Ardente, le jeune Eugène suit des cours de violon entre 1865 et 1869 chez Désiré Heynberg au Conservatoire de Liège. Après le décès de sa mère, il accompagne son père dans ses tournées et joue dans son orchestre. Entre 1872 et 1874, il décide de reprendre l’étude de l’instrument à archet chez Rodolphe Massart. Cependant, son éducation musicale se parfait auprès d’Henryk Wieniawski à Bruxelles et peu après chez Henri Vieuxtemps à Paris de 1876 à 1879. Devenu chef d’orchestre de la “Bilsesche Kapelle” à Berlin de 1879 à 1883, Ysaÿe entreprend des tournées dans les pays scandinaves et en Russie où il devient le garant des œuvres de César Franck, de Gabriel Fauré et de Claude Debussy. Cinq ans plus tard, il crée le fameux “Quatuor Ysaÿe” composé de Mathieu Crickboom, Léon Van Hout, Joseph Jacob et de lui-même. De 1886 à 1898, il tient le poste de professeur de violon au Conservatoire de Bruxelles où il se permet d’organiser fréquemment des concerts de musique moderne. C’est ainsi qu’il fonde la “Société des concerts Ysaÿe” qui perdure de 1895 à 1940. Parcourant les continents, il revient en Belgique en 1922 après avoir émigré un temps en Angleterre et aux États-Unis pendant la Grande Guerre. Affaibli par un état de santé précaire, il voit la consécration de son unique opéra écrit en langue wallonne Pière li Houyeu  cinq semaines avant de mourir le 12 avril 1931.

 Celui qui n’a composé que “pour et par le violon” a laissé de très belles œuvres dont de nombreux Poèmes adaptés pour le violon de conception toute lisztienne et un groupe remarquable de Six Sonates pour violon seul, opus 27 daté de 1923. Ayant joué une rôle primordial dans l’évolution de la technique instrumentale, Ysaÿe demeure un pionnier de l’école moderne du violon grâce à sa conception particulière de doigtés jamais utilisés auparavant.Reconnu par ses pairs, il s’est fait des amis parmi lesquels on retrouve Henri Duparc, Gabriel Fauré, Édouard Lalo, Ernest Chausson, Guillaume Lekeu, Vincent d’Indy, Claude Debussy mais aussi le “Français d’adoption” César Franck. Impressionnant tant par son jeu violonistique que par sa personnalité et son aspect physique, Ysaÿe forme à partir de 1896 à Paris avec Raoul Pugno un duo légendaire par lequel il se distingue notamment dans l’interprétation de la Sonate en la majeur offerte par Franck.

À la mort d’Edgard Tinel en 1912, il présente sa candidature aux postes jumelés de directeur du Conservatoire de Bruxelles et de Maître de Chapelle de la Cour de Belgique. Cependant, Léon Dubois obtient la place convoitée tandis que la Reine Elisabeth, amoureuse de musique et excellente violoniste, nomme le Liégeois Maître de Chapelle de la Cour et conseiller musical. 

Toutefois, le rôle d’Ysaÿe possède une dimension supplémentaire. Alors que la Reine Élisabeth reçoit des cours particuliers du virtuose, la naissance d’un fabuleux concours musical est en pleine gestation. À l’instar de son maître Vieuxtemps qui se voit gratifié d’un concours qui porte son nom, Ysaÿe qui pressent le déclin de l’École belge de violon, propose à la Reine en 1924 une première esquisse du Concours. Cette démarche -qui, dans un premier temps ne peut guère s’expliquer, quand on songe aux divers refus du maître de faire partie de jurys de concours- s’inscrit plus dans le cadre d’un concours entre élèves qu’entre professeurs! Elle songe à un diplôme artistique attribué à des universitaires de la musique mis en loge pendant huit à dix jours avec un concerto manuscrit dont ils doivent concevoir, seuls, une interprétation. Cette démarche sera appliquée dès le Concours de 1938. Cependant, le but premier d’Ysaÿe est de mettre sur pied un concours de haut niveau ouvert à tous les jeunes virtuoses de tous horizons. Afin de concrétiser ce projet, il crée en 1928 un Comité d’édition et de propagande pour l’art musical belge qui deviendra plus tard la Fondation musicale Reine Élisabeth.

Le concours se profilant de plus en plus, il doit cependant attendre dix ans avant de se voir concrétisé. Décédant en 1931, Ysaÿe précède de peu le roi Albert Ier et la jeune Reine Astrid. La Reine Elisabeth fort affectée par ces disparitions successives n’en demeure pas moins décidée de créer ce concours pour lequel elle se dévoue entièrement. C’est ainsi qu’a lieu le 21 mars 1937 le premier Concours Eugène Ysaÿe dont le premier lauréat n’est autre que le brillant violoniste russe David Oïstrakh, parfait dans son interprétation du Concerto en ré opus 35 de Tchaïkovski. D’ores et déjà, ce jeune musicien de vingt-huit ans entre dans la grande famille des phénomènes de l’archet et reviendra à plusieurs reprises en siégeant au  jury du Concours Reine Elisabeth.

Michèle Isaac

Crédits photographiques : DR

L'école belge de violon (I) : aux racines d'une école musicale

 

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