Lecture à fort contraste des madrigaux italiens de Schütz

par

Heinrich Schütz (1585-1672) : Il Primo Libro de Madrigali SWV 1-19. Les Arts Florissants, dir. Paul Agnew. Miriam Allan, Hannah Morrison, soprano. Mathilde Ortscheidt, Nicolas Kuntzelmann, alto. Paul Agnew, Sean Clayton, ténor. Jonathan Sells, Anicet Castel, basse. Livret en français, anglais, allemand. Texte des paroles en italien, traduction trilingue.  2022.  60’54’’. Harmonia Mundi HAF 8905374

Publié en 1611, alors que Schütz venait d’achever ses études à Venise auprès de Giovanni Gabrieli, ce recueil de jeunesse remonte aux années d’apprentissage du Sagitarrius, ainsi que l’atteste sa cote dans le catalogue du compositeur. Sa première compilation de madrigaux restera sa seule et, dépourvue de tout accompagnement instrumental (même si certaines prestations, comme celle de Sette Voci & Peter Kooij chez CPO se permettent un discret soutien), s’inscrit en même temps dans le crépuscule d’un genre auquel Monteverdi avait conféré ses lettres de noblesse.

Voilà plus d’un demi-siècle, en novembre 1971, la Capella Lipsiensis de Dietrich Knothe enregistrait pour le label est-allemand Eterna une mémorable interprétation de ce Primo Libro, ensuite diffusée sous étiquette Philips, et rééditée en CD chez Berlin Classics. L’équipe de Leipzig y défendait une vision chaleureuse, ardente, dont l’italianità séduit toujours pour son généreux lyrisme, malgré quelques rides stylistiques.  On connaît les réussites ultérieures du Consort of Musicke d’Anthony Rooley (DHM, 1985), concomitamment au Concerto Vocale de René Jacobs (Harmonia Mundi) soutenu par le théorbe de Konrad Junghänel, qui du luth escortera le Cantus Cölln (Harmonia Mundi, 1998), paru en même temps que les enluminures fantasques du Orlando di Lasso Ensemble (Thorofon). En réaction, l’approche chorale du Dresdner Kammerchor d’Hans-Christoph Rademann (Carus, 2010), pourtant remarquable dans le répertoire sacré, révélera comment les affetti de ces madrigaux résistent mal à pareil effectif élargi à une vingtaine de chanteurs, et à une telle solennisation du maniérisme.

Pour ces sessions captées à la Philharmonie de Paris, Les Arts Florissants s’en tiennent à la légitime nomenclature de cinq voix, et huit pour l’ultime Vasto Mar. Un tactus globalement modéré mais qui n’en laisse rien paraître (la mobilité du Sospir, che del bel petto !) permet de soigner les moindres inflexions, d’interroger le lien entre note et sens comme une mosaïque de signification. Une mate perspective acoustique aiguise la projection collective, mais la durcit aussi, souvent au prix d’une aridité proche de l’abstraction, parfois jusqu’à l’ivresse (Fuggi, fuggi, o mio core) voire une froide sensualité (Feritevi ferite). Une lecture sous scialytique dont les vifs éclairages, les rythmes à l’affût, la dynamique contrastée et la prononciation sur le fil du rasoir ne laissent rien dans l’ombre. En cet album, la peinture figuraliste de l’apprenti Musicus Poeticus, cernée au cordeau sous la conduite de Paul Agnew, s’érige avec une entêtante acuité.

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8,5

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