Leif Ove Andsnes, un artiste complet 

par

© Özgür Albayrak

Pour sa série ‘Les Grands Interprètes’, l’Agence de concerts Caecilia convie régulièrement de grands solistes et de petites formations. Ce fut le cas le vendredi 10 mars dernier avec le Norwegian Chamber Orchestra dialoguant avec le pianiste Leif Ove Andsnes. Sans pupitre, jouant par coeur, l’ensemble propose d’abord la Suite Holberg op.40 d’Edvard Grieg. Devant les violoncelles et contrebasses assis, seconds violons et alti font face aux sept premiers violons littéralement galvanisés par leur chef de pupitre, Terje Tonnesen, qui emporte le Prélude dans une dynamique presque hystérique avant de plonger la Sarabande dans une pesante nostalgie. Par l’appui sur les temps faibles, la Gavotte arbore la tournure agreste d’un ‘halling’ quand l’Air renoue avec une mélancolie largement expansive. Et le Rigaudon conclusif émoustille le dialogue entre le violon et l’alto solistes, ce qui concède aux deux contrebassistes d’esquisser un pas de danse qui suscite l’hilarité du public. Puis intervient Leif Ove Andsnes qui joue et dirige deux concerti célèbres de Mozart, le K.466 en ré mineur et le K.482 en mi bémol majeur. La tentation d’être à la fois le soliste et le chef constitue aujourd’hui une ‘maladie endémique’ qui touche nombre d’artistes, avec un résultat négatif, la plupart du temps. Mais il faut bien admettre que Leif Ove Andsnes est l’incarnation du contraire, tant la précision du geste dégage du K.466 un pianissimo mystérieux insufflant une dimension tragique qu’appuieront les traits expressifs du piano et le trille, élément moteur dans les cadences improvisées par l’interprète ; la Romance est un large cantabile qui laisse sourdre une angoisse existentielle plombant le discours ; et les ténèbres se dissiperont grâce à l’énergie débordante qui enlève le Finale. Le K.482 joue sur les contrastes de phrasé dans un tutti qui s’irise de fantaisie par le biais d’une flûte babillarde avec laquelle le piano rivalise de clarté pour un propos extrêmement volubile ; en demi-teintes empreintes de tristesse se dessine un Andante dont les formules en arpèges attisent le souffle mélodique ; et l’Allegro conclusif affiche un brio qui s’embuera de quelques larmes dans le cantabile médian. Devant le succès éclatant remporté par sa double prestation, le pianiste concède un bis, le Nocturne en fa majeur op.15 n.1 de Chopin, si proche des deux concerti de Mozart par le déferlement dramatique corrodant la cantilène.
Paul-André Demierre
Genève, Victoria Hall, 10 mars 2017

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