Les 350 ans de Tomaso Albinoni avec Claudio Scimone 

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Tomaso Albinoni (1671-1751) : The Collector’s Edition : Sinfonie e concerti opus 2, 5,7, 9 et 10. Trattenimenti da camera opus 6 ; Il nascimento dell’aurora ; Pimpinone ; Il concilio de’ pianeti. Remo Giazotto (1910-1998) : Adagio en sol mineur pour cordes et orgue. Pierre Pierlot, Pietro Borgonovo et Jacques Chambon, hautbois ; Guiliano Carmignola, Astorre Ferrari et Pietro Toso, violons ; Susan Moses, violoncelle ; Edoardo Farina, orgue et clavecin ; Giuseppe de Marzi, orgue ; June Anderson,Cristina Miatello, Sylvia Pozzer, sopranos ; Elena Zilio et Margarita Zimmermann, mezzo-sopranos ; Luca Dordolo, ténor ; Domenico Trimarchi, baryton ; Chœur JS Bach de Padoue ; Ensemble Strumentale Albalonga, direction Annibale Cetrangolo ; I Solisti Veneti, direction Claudio Scimone. 1968-1996. Notice en français, en anglais et en allemand. Plus de 14 heures de musique. Un coffret de seize CD Erato 0190295115883. 

Lorsque le musicologue Remo Giazotto, qui est aussi biographe de Vivaldi, Puccini et Busoni, publie en 1958 un Adagio reconstitué à partir d’une partition des plus fragmentaires de Tomaso Albinoni, à savoir la basse chiffrée et deux idées thématiques, le succès est fulgurant et il est tout bénéfice pour le musicien du XVIIIe siècle. La notice du présent coffret, signée par Gaëtan Naulleau, précise : Avec au bas mot six gravures en un quart de siècle sans compter les tirés à part en 45t et les compilations […], le pastiche tricoté par Giazotto autour de quelques notes d’Albinoni fut l’œuvre la plus régulièrement publiée par Erato. Ce label ne fut d’ailleurs pas le seul à inscrire l’Adagio melliflu à son catalogue. D’autres allaient s’en emparer, comme I Musici, et même Karajan. Succès total, donc, à l’avantage du compositeur vénitien ? Voire ! La réalité en décidera autrement : les interprétations « historiquement informées » vont vite prendre le pas sur les lectures avec instruments modernes. Du coup, Albinoni va injustement payer l’existence de cet Adagio qui est si peu son œuvre, les baroqueux allant même, dans leur grande majorité, jusqu’à ignorer complètement son répertoire. On lira ce que raconte à cet égard Gaëtan Naulleau.

Heureusement pour lui, Albinoni a trouvé en Claudio Scimone (1934-2018) un ardent et fidèle défenseur. Ce fils de Padoue, né et décédé dans cette cité qui n’est éloignée de Venise que de quarante kilomètres, y fonde en 1959 l’orchestre I Solisti Veneti, avec lequel il va parcourir le monde et donner des milliers de concerts. Albinoni, joliment surnommé dilettanto veneto (il est Vénitien de souche), sera parmi ses compositeurs de prédilection. La Collector’s Edition d’Erato propose, à l’occasion du 350e anniversaire de la naissance du compositeur, plusieurs opus orchestraux dans un coffret qui reproduit les pochettes d’origine, ce qui rappellera bien des souvenirs à maints mélomanes. Parmi ces opus, les numéros 2, 5, 6 et 7 sont des premières au CD. Ces nombreux sinfonie e concerti sont complétés par trois partitions vocales. Le résultat est un panorama des plus évocateurs, au coeur de l’œuvre d’Albinoni qui bénéficie ainsi d’un retour en grâce au moins momentané, à laquelle la nostalgie vient s’ajouter, ainsi que l’espoir d’une prise de conscience : celle que cette musique trop négligée mérite l’attention des ensembles actuels. 

L’Opus 9 est l’enregistrement le plus ancien de la série, il date de 1968. Les douze concertos qui le composent sont confiés à un ou deux hautbois, ou au violon seul, dans une atmosphère où l’on ressent la joie de jouer des partenaires et le partage ensoleillé de la matière dynamique. Les hautboïstes français Pierre Pierlot (1921-2007) et Jacques Chambon (1931-1984), ainsi que le violoniste italien Piero Toso (°1937), se lancent dans des démonstrations expressives dont le charme nous touche profondément. C’est le cas aussi pour les douze concerti de l’Opus 7 (gravure de 1974), toujours avec Pierlot, le Milanais Pietro Borgonovo remplaçant Chambon dans quatre partitions. Nous avons sorti du lot ces trois CD, en raison de la finesse, de la légèreté, de l’ornementation et de l’élégance qui les caractérisent, ainsi que pour une sorte de distanciation pleine de fantaisie qui règne en maître. Quant à Piero Toso, gourmet de l’archet, il apporte une souplesse contrastée que l’on retrouve avec la même ardeur en 1983 chez Giuliano Carmignola, alors dans la trentaine naissante avant de poursuivre une carrière flamboyante, pour trois concertos de l’Opus 10. On avait sans doute un peu oublié que le collectif I Solisti Veneti avait une telle générosité de son, combien il soulignait les accents vifs des allegros comme le lyrisme délicat des adagios (qui sont ici légion), de quelle manière il ciselait avec clarté la lecture globale des oeuvres, avec une ardeur communicative et un plaisir non dissimulé. L’eau a bien sûr coulé sous les ponts, d’autres options sont apparues avec les baroqueux. D’aucuns estimeront que, surtout dans les opus 2 et 5, il y a un peu trop d’éloquence ostentatoire ou de style déclamatoire. Ils n’auront pas tort, mais la séduction est bien présente et les tempi vigoureux, variés et rayonnants.

Cet éventail d’œuvres instrumentales est complété par trois partitions vocales. Albinoni aurait écrit une centaine d’opéras, pour la plupart perdus. On est donc heureux de pouvoir écouter la sérénade en deux actes Il Nascimento dell’ aurora (1708) où il est question d’une naissance princière. On y trouve, sur deux CD, des mélodies virtuoses et des cordes veloutées, mais surtout, parmi les solistes, les voix impeccables de Margarita Zimmermann et de l’Américaine June Anderson, qui a brillé si souvent dans Lucia di Lammermoor de Donizetti. On se régale ensuite avec les trois intermezzi humoristiques de Pimpinone, qui datent aussi de 1708 et dont le livret tentera Telemann en 1725. Un peu à la manière de la commedia dell’arte, on s’amuse pendant cette quarantaine de minutes savoureuses qui racontent les déboires d’un riche patron face à une femme de chambre astucieuse. La mezzo-soprano Elena Zilio et le baryton Domenico Trimarchi sont très amusants dans ce registre léger. 

En 2009, pour célébrer le cinquantième anniversaire d’I Solisti Veneti, l’orchestre a donné à Padoue la sérénade à trois voix Il concilio de’pianeti dans une production scénique qui a été filmée, mais dont la distribution a été jugée insatisfaisante pour être reprise. Une autre version, donnée en 1996, toujours à Padoue, par l’Ensemble instrumental Albalonga, a été choisie à sa place pour compléter le coffret. Dirigé par le musicologue d’origine argentine Annibale Cetrangolo, ce « congrès des planètes » est une commande de Louis XV à l’occasion de la naissance du Dauphin qui aurait été jouée à l’Ambassade de France à Venise en 1729. Le côté festif domine la partition, avec des airs de circonstance.

Que devient l’Adagio d’Albinoni/Giazotto dans tout cela ? Il est là, bien calfeutré à la plage 25 du sixième CD où il vient s’ajouter aux Trattenimenti da camera de l’Opus 6, des divertissements servis par les sons onctueux de Piero Toso et de la violoncelliste solo d’I Solisti Veneti, Susan Moses, ainsi que par l’orgue et le clavecin d’Edoardo Farina, quelques peu datés. C’est un autre organiste, Giuseppe de Marzi (°1935) qui officie dans le fameux Adagio, gravé ici en juillet 1981 dans la Villa Contarini à Piazzola sul Brenta. Il ne faut pas être gêné d’avouer, toute honte bue, que l’on éprouve un certain plaisir (pervers ?) à se laisser prendre au jeu de ces notes rabâchées et aguicheuses. Au-delà, ce coffret commémoratif, dont le rendu sonore a été soigné, mérite de figurer dans toute discothèque. Il rend un bel hommage à Tomaso Albinoni et à Claudio Scimone, son plus digne défenseur.

Son : 9  Livret : 9  Répertoire : 9  Interprétation : 8

Jean Lacroix 

 

  

 

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