Les élans patriotiques polonais dans la Symphonie n° 2 de Paderewski 

par

Ignacy Jan Paderewski (1860-1941) : Symphonie n° 2 en si mineur op. 24 « Polonia ». Orchestre Philharmonique national de Lviv, direction Bohdan Boguszewski. 2019. Notice en polonais, en anglais et en ukrainien. 63.49. Dux 1636.

Les amateurs de pages postromantiques de grand format vont être servis avec cette nouvelle parution Dux. La Symphonie n° 2 de Paderewski, créée à Boston le 12 février 1909 sous la direction de Max Fiedler, est une vaste fresque sonore dont le sous-titre même, « Polonia », précise l’intention patriotique. Le jeune Ignacy étudie au Conservatoire de Varsovie où il tâte du trombone dans l’orchestre de l’établissement. Il joue aussi du piano mais se destine d’abord à l’enseignement et devient professeur du même Conservatoire dès ses dix-huit ans, poste dont il va démissionner peu après en raison d’un drame familial : sa première épouse meurt quelques jours après avoir donné naissance à leur enfant. On le retrouve à Berlin chez Anton Rubinstein, il y étudie la composition, commence à donner une série de de récitals, va jusqu’à Vienne où Teodor Leschetitzky le prend sous son aile et lui permet de se perfectionner de façon foudroyante. Devenu un soliste charismatique, il parcourt toute l’Europe, avant New York où il est acclamé, puis se rend en Amérique du Sud, en Australie et en Afrique du Sud. Il se remarie en 1899 avec la Baronne Helena Gorska. 

Etabli aux Etats-Unis, Paderewski demeure très sensible à ce qui se déroule dans sa patrie. Pendant le premier conflit mondial, il verse le montant de ses concerts pour les Polonais victimes de la guerre. En 1919, il devient Premier ministre de la jeune République de son pays pour une courte période, et fait partie des signataires du Traité de Versailles. Mais il abandonne vite la politique pour reprendre sa carrière de concertiste. Il réside en Suisse jusqu’à la seconde guerre mondiale, où il fait partie du gouvernement en exil et est nommé Président du Parlement en janvier 1940. Il décède le 29 juin 1941 à New York, où il est retourné afin de donner des conférences pour prouver à l’opinion américaine la nécessité de s’impliquer dans la guerre. Il y reçoit des funérailles nationales et il est inhumé au prestigieux cimetière d’Arlington d’où sa dépouille sera transférée à Varsovie en 1992. Ce trop bref résumé d’une existence riche en péripéties politiques et en triomphes musicaux de soliste ne doit pas occulter son catalogue de compositeur qui comprend symphonies, concertos, mélodies, incursions limitées dans la musique de chambre et multiples pièces pour le clavier. Il existe des exemples éloquents de son jeu pianistique, très libre et très virtuose, le disque ayant heureusement préservé son art en tant qu’interprète.

Construite en trois mouvements, la Symphonie n° 2 de Paderewski est une partition foisonnante et luxuriante, richement orchestrée, avec la présence d’un orgue, de la sonorité forte et grave de trois sarrussophones et d’une impressionnante percussion, très diversifiée dont la rare « feuille de tonnerre » appelée tonitruon, mais encore le glockenspiel, le tambour de basque ou le tam-tam. Le compositeur esquisse son œuvre dès 1903, la prévoit d’abord en quatre mouvements, avant de renoncer au scherzo ; il l’achève cinq ans plus tard. Telle quelle, elle dépasse l’heure d’écoute mais a été souvent donnée en public ou gravée sur disques de manière raccourcie, au temps du 33 tours, notamment par des formations polonaises dirigées par Wojciech Czepiel ou Bohdan Wodiczko. En 1998, Jerzy Maksymiuk en donnait une version complète et brillante à la tête du BBC Scottish Symphonic Orchestra (Hypérion). Le Royal Philharmonic Orchestra mené par Grzegorz Nowak en a proposé une gravure récente sous diffusion Proper Music. La présente édition, à l’occasion du 100e anniversaire de la Pologne indépendante, vient compléter une discographie en fin de compte assez réduite.

Le premier mouvement s’ouvre par une lente introduction Adagio maestoso qui va peu à peu s’amplifier dans une atmosphère remplie de violence et d’agitation, qui évoque les anciens jours glorieux de la Pologne. Résolument romantique et narrative, cette exubérance aux accents triomphalistes n’est pas sans évoquer Tchaïkowski et anticipe Elgar (qui écrira lui-même en 1915 un prélude symphonique intitulé « Polonia » et dédié à Paderewski), mais on pense surtout à Glière et au souvenir de Rimsky-Korsakov, l’exaltation de la couleur étant permanente, avec des gradations et des contrastes affirmés qui vont trouver une apothéose monumentale dans l’apparition de l’orgue qui transfigure les dernières notes de l’Allegro vicace. Le deuxième mouvement, Andante con moto, aux côtés sombrement lyriques, est à l’image de Pologne du début de ce XXe siècle, partagée depuis longtemps entre la Prusse, l’Autriche-Hongrie et la Russie. On y perçoit des côtés nostalgiques et douloureux, soulignés par une tension permanente des cordes, avec émersion de la clarinette. Le Final Vivace est considéré comme une sorte de poème symphonique à lui seul. Il est traversé par l’espoir et la volonté de retrouver un avenir libre et heureux. Paderewski y a inséré des motifs basés sur les paroles La Pologne n’est pas encore perdue tirées de l’hymne national, mais aussi des réminiscences de musiques locales, mazurka ou krakowiak. La dimension orchestrale, parfois boursouflée, tend sans cesse vers le grandiose tout en se gorgeant d’harmonies mélodieuses. La coda, véritable aboutissement, culmine dans un climat d’élévation triomphale jubilatoire.

Cette fougueuse partition demande un investissement complet de la part des musiciens. C’est le cas dans cette version polono-ukrainienne qui répond aux intentions du compositeur en mettant l’éclairage sur toute son orchestration fastueuse, notamment les pupitres des cuivres et des vents, et en utilisant les instruments insolites cités plus haut, donnant à l’ensemble une forte intensité émotionnelle. Le chef d’orchestre Bohdan Boguszewski, qui dirige de nombreux opéras et compte à son actif plusieurs CD pour Dux dont des pages de Gorecki, insuffle à cette partition hors normes toute la dimension imposante qu’elle réclame.

Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix    

 

  

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.