Les Arènes de Vérone font face à la pandémie

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Pour sa 98e édition, l’Arena di Verona relève le défi de présenter cinq ouvrages sous forme scénique en faisant appel aux scénographies digitales de l’Atelier D-Wok qui intègrent des clichés provenant de douze institutions muséologiques, archéologiques et paysagères les plus prestigieuses d’Italie. Pandémie oblige, les quelques cent-vingt choristes en tenue de concert s’étagent côté jardin (à la gauche du chef) tandis que, sur scène, évoluent les solistes et les kyrielles de figurants portant le masque sanitaire. Face à une ouverture de scène de plus de septante mètres, la difficulté majeure à laquelle est confronté le chef d’orchestre est de rassembler la sonorité en évitant les décalages entre les contrebasses, les trombones et la percussion placés à l’opposé des forces chorales. Si, au pupitre de Nabucco (le 6 août), vous avez un vieux loup de mer comme Daniel Oren, n’hésitant pas à invectiver ses troupes par le cri, l’équilibre entre la fosse et le plateau s’établit rapidement, alors que la baguette de Francesco Ivan Ciampa, sollicitée pour La Traviata du 7 août, est lourdement mise à l’épreuve.

Pour la production de Nabucco, la Fondazione Arena collabore avec le Musée National du Judaïsme Italien et de la Shoah de Ferrare fournissant les images projetées en arrière-plan. Une fois de plus, l’on retombe dans la transposition éculée à la Seconde Guerre mondiale où les prisonniers juifs s’entassent avec leurs valises sous les miradors, escaliers et passerelles d’acier permettant au pouvoir nazi d’exercer son hégémonie. Au troisième acte, inutile de dire que les jardins de Babylone se métamorphosent en stade olympique pour les Jeux de 1936 magnifiés par les statues d’Arno Breker.

Sous l’angle musical, le résultat est bien plus convaincant grâce au souffle dramatique insufflé par la direction enfiévrée de Daniel Oren et à la prestation magnifique des Chœurs préparés par Vito Lombardi. Sur scène s’impose en premier lieu l’Abigaille d’Anna Pirozzi, véritable ‘soprano drammatico di agilità’ qui négocie avec aisance une tessiture massacrante de plus de deux octaves lui faisant user de la richesse du registre de poitrine dans sa ‘scena ed aria’ « Ben io t’invenni, o fatal scritto ! » et des ‘filati’ les plus ténus dans le terzetto « Io t’amava ! ». Son incarnation est aussi bouleversante que celle de Luca Salsi campant un Nabucco péremptoire s’effondrant sous le choc de la fulguration divine avec des accents déchirants. Affrontant sereinement les outrages du temps, Michele Pertusi personnifie le grand-prêtre Zaccaria avec une noble sobriété que traduit son art consommé du declamato. Pour une fois, les rôles sacrifiés que sont Fenena et Ismaele prennent une consistance théâtrale grâce à Annalisa Stroppa au timbre charnu et au fougueux Samuele Simoncini aux accents claironnants. De grand professionnalisme, l’Abdallo de Carlo Bosi, l’Anna d’Elisabetta Zizzo, le Grand-Prêtre de Baal de Romano Dal Zovo. 

Quant à La Traviata, les projections nous plongent dans le Paris de la Belle Epoque, au moment où se déroulait l’Exposition Universelle de 1889, et empruntent une série de portraits concrétisant la beauté féminine à la Galleria degli Uffizi de Florence. Une gigantesque plateforme entourée d’un escalier d’apparat circulaire permet aux figurants masqués de suggérer l’empressement de courtisans osant arborer les tenues les plus bigarrées.

En ce qui concerne la partition, la direction de Francesco Ivan Ciampa fluidifie le discours tout en sachant accompagner les solistes sans les ‘couvrir’. Mais les scènes d’ensemble fluctuent avec les interventions du chœur placé côté jardin comme le soir précédent. Sur scène, Sonya Yoncheva incarne Violetta avec cette inertie de phrasé qui lui est coutumière et cette ‘vocalità’ approximative qui la contraint à savonner les ‘passaggi’ brillants de sa grande scena « È strano… ». Passé l’écueil du premier acte, l’émission se stabilise progressivement. Un « Dite alla giovine » à fleur de lèvres libère l’expression, drainant avec elle une émotion qui rendra pathétique la seconde partie, alors que la neige tombe. Face à elle, le Germont père de George Petean arbore le même défaut, celui de l’uniformité d’un timbre pourtant cuivré que ne peut irradier un aigu souvent difficile. Sans peine, Vittorio Grigolo qui campe Alfredo, son fils, décroche la timbale par la finesse de son phrasé nourri de la fougue de la jeunesse. Il faut noter aussi que l’ensemble des seconds plans est de bonne qualité, que ce soit l’Annina de Yao Bohui, la Flora Bervoix de Clarissa Leonardi, le Gastone de Carlo Bosi, le Baron Douphol de Nicolò Ceriani, le Marquis d’Obigny de Natale De Carolis, le Dr Grenville de Romano Dal Zovo. 

A l’issue de ces deux soirées, la jauge réduite à six mille spectateurs livre un public conquis qui a au moins pu assister à un véritable spectacle en ‘live’.

Vérone, Arènes, 6 et 7 août 2021

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Foto Ennevi/Fondazione Arena di Verona

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