Les Fragments Hollandais dénichés par les Diskantores

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Hollandse Fragmenten (Les Fragments Hollandais). Musique Polyphonique des Pays-Bas, 1400. Diskantores : Oscar  Verhaar et Andrew Hallock, contre-ténors : Benjamin Jago Larham et  Niels Berentsen, ténors ; Jacques Meegens, orgue ; Niels Berentsen, direction artistique. 2017 - Livret en français, anglais, néerlandais et allemand - 67’40. MU 042

À l’écoute de ce disque-promenade dans les rues médiévales hollandaises, un bousculement sonore nous fait soudain changer de direction. L’aventure commence dans une Cour du Comté de Hollande à La Haye. Après une courte visite, nous prenons la direction de la ville d’Utrecht, résidence de l’Evêque, pendant que le son des cloches nous amène doucement vers une église du coin. Les voyages vous manquent ? L’immersion sonore dans le temps nous est assurée ici par l’ensemble Diskantores et son directeur artistique Niels Berentsen qui a aidé à mieux comprendre la conception du disque dans lequel, comme on l’apprendra par la suite, les nouvelles technologies ont considérablement facilité la reconstruction des manuscrits.

La musique comme une ouverture sur tous les aspects de la vie ?

Les pièces du disque sont des fragments de manuscrits du début du XVe siècle, conservés aujourd’hui dans les bibliothèques universitaires d’Utrecht, de Leyde et d’Amsterdam. Ces pièces profanes et liturgiques dévoilent des registres très différents. Certaines s’assimilent à la culture française, certaines à la culture néerlandaise alors que d’autres sont des chansons de carnaval ou encore d’un amour fin. Ce qui m’a frappé dans ces textes, c’est l’ouverture sur tous les aspects de la vie, entre les chansons à boire avec des clins d’œil, jusqu’à la poésie pure. 

École hollandaise vs école française ?

Deux pièces du disque sonnent comme de la musique que Gilles Binchois aurait pu avoir entendue dans sa jeunesse (les anonymes Adieu vous di et Renouveler mi feist). Je ris alors que c’est peut-être le père de Binchois qui les a écrits. 

Malgré la présence de textes en plusieurs langues, le lien le plus direct est avec la France. Cependant, ce qui est unique dans les pièces néerlandaises, c’est l’accent mis sur la déclamation du texte. La plupart d’entre elles sont très simples (ex. Martinus Fabri : Eer ende lof) et presque toutes en homophonie. C’est syllabique, la déclamation est mise en avant et la musique n’est pas compliquée (ce n’est pas comme à la Cour d’Avignon où la musique est souvent plus compliquée que celle de Pierre Boulez). Il y a peu de musique française qui soit faite de cette manière. La polyphonie néerlandaise se veut d’abord de la polyphonie chantée.

Restitution, reconstruction ou encore recomposition ?

Pourquoi y a-t-il si peu de musique polyphonique hollandaise du Moyen Âge qui ait survécu à travers les siècles ? Niels Berentsen explique qu’à l’époque, le parchemin valait plus que la musique qui s’y trouvait, d’où le recyclage du papier et donc, tout naturellement, des partitions. Souvent, il ne reste que des bribes d’une ancienne partition de la taille d’un timbre-poste avec juste les cinq premières notes d’une pièce. Mais la collaboration avec la musicologue Eliane Fankhauser a permis de restaurer numériquement certains fragments afin de faire revivre et rendre ce répertoire accessible au public. La restitution des images (multi-spectrale et d’une haute résolution) a permis ainsi de découvrir, dans une page raturée, une partition invisible à l’œil nu.

Mais comment restaurer les voix ou les parties perdues ?

Dans ce cas-là, il faut recomposer. C’est ce que j’ai fait dans trois pièces du disque : j’ai réécrit une musique à partir de ce que l’on sait, comme le nombre de voix ou une partie manquante. A partir des éléments donnés et en me basant sur mon expérience de chercheur de musique médiévale et de professeur de contrepoint il a été possible de rendre cette musique fonctionnelle. Dans les musées, beaucoup de peintures ont été retouchées et reconstituées de cette manière, alors pourquoi ne pas utiliser les mêmes procédés pour la musique ? C’est de la musicologie qui donne des nouvelles œuvres à chanter.

Parmi le vingtaine de pièces qui figurent sur le disque, certaines sont aussi présentes dans le célèbre Codex Faenza, ce qui atteste du cosmopolitisme des musiciens de l’époque et de la circulation du répertoire. 

Finalement, la dernière pierre de cet édifice est posée par l’organiste Jacques Meegens qui s’est prêté au jeu et a ré-animé la place de l’orgue dans cette musique où il n’y a que très peu de traces de répertoire écrit pour cet instrument. 

Une mention particulière à Andrea Friggi (prise de son et montage) qui, tout en s’appropriant les lieux d’enregistrement, a brillamment contourné les inconvénients des lieux si résonants pour créer  une sensation de distance physique, comme si une simple écoute pouvait rendre visible l’ampleur de la salle d’enregistrement et nous permettait de visualiser la résonnance du son entre le corps sonore et notre oreille.

Son : 10 - Notice : 8 - Répertoire : 9 - Interprétation : 9

Gabriele Slizyte

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