L'alto de Timothy Ribout, une belle découverte

par

Ralph VAUGHAN WILLIAMS (1872-1958) : Suite pour alto et orchestre ; Bohuslav MARTINU (1890-1959) : Concerto-Rhapsodie pour alto et orchestre H 337 ; Paul HINDEMITH (1895-1963) : Trauermusik pour orchestre à cordes avec alto solo ; Benjamin BRITTEN (1913-1976) : Lachrymae op. 48a. Timothy Ridout, alto ; Orchestre de chambre de Lausanne, direction : Jamie Phililips. 2020. Livret en anglais. 69.05. Claves 50-3000.

Né en 1995, l’altiste Timothy Ridout a fait ses études musicales à la Royal Academy of Music de Londres et à la Kronberg Academy où il travaillait encore récemment avec Nabuko Imai. Ce jeune soliste anglais a remporté deux premiers prix, l’un au Concours Cecil Aronowitz (membre fondateur de l’Ensemble Melos) à Birmingham en 2014, l’autre, en 2016, au Concours international Lionel Tertis (l’un des plus célèbres altistes du XXe siècle, décédé en 1975 à l’âge de 99 ans, auquel Arnold Bax et Frank Bridge dédièrent des partitions et qui arrangea pour l’alto le concerto pour violoncelle d’Elgar). En 2019, Timothy Ridout reçoit le Prix Thierry Scherz attribué aux Sommets musicaux de Gstaad, du nom du fondateur de ce festival. Dans le palmarès de ce prix attribué depuis 2002, toutes spécialités musicales confondues, on trouve les noms de Liviu Prunaru, Joseph Moog, Soo-Hyun Park ou Guillaume Bellom. C’est suite à l’obtention de cette récompense que le présent CD a été réalisé, permettant au jeune virtuose d’encore mieux se faire connaître, bien qu’il n’ait pas attendu ce prix pour se produire en récital ou avec orchestre.

Le programme proposé ici est diversifié. Il débute par une partition profondément lyrique, la Suite pour alto et orchestre de Vaughan Williams ; datée de 1934, cette œuvre expansive et exubérante est divisée en trois « groupes » de trois ou deux morceaux chacun, où l’on retrouve un prélude à la manière de Bach, des airs de Noël, une ballade, un moto perpetuo, une musette, une polka mélancolique ou un galop final. L’ambiance générale est brillante et légère, loin de l’atmosphère d’une autre partition de Vaughan Williams, Flos Campi, écrite aussi pour alto en 1925, qui est accompagnée d’un chœur sans paroles, avec des références au Cantique des Cantiques. Pour la petite histoire, c’est Lionel Tertis qui en assura la création à Londres ; filiation lointaine suggérée pour Ridout ? Si Flos Campi relève plutôt d’un climat sensuel et presque charnel, la Suite, qui est presque contemporaine de la violente Symphonie n° 4 du compositeur, est au contraire élégiaque et colorée. Elle met en valeur le soliste qui peut tour à tour s’épancher ou extérioriser son talent. Timothy Ridout en traduit le contenu avec sensibilité et finesse, bien aidé par le splendide instrument dont il joue, un Peregrino Di Zanetto qui date de la fin du XVIe siècle, un prêt de la Beare’s International Violin Society.

Le Concerto-Rhapsodie de Martinu date du printemps 1952 et a été créé l’année suivante par Jascha Veissi avec l’Orchestre de Cleveland de George Szell. Parmi les gravures, celles de Nabuko Imai, le professeur de Timothy Ridout, avec le Symphonique de Malmö et James De Preist (BIS), ou celle de Bohuslav Matousek avec la Philharmonique Tchèque, dirigée par Christopher Hogwood (Hypérion) sont à signaler pour leurs qualités intrinsèques, que le jeune élève d’Imai rejoint facilement par l’intensité de son jeu. La notice rapporte une interview de Martinu à son arrivée aux USA en 1942. Le compositeur y précise que son inspiration habituelle vient aussi bien de la musique populaire tchèque que du madrigal anglais de la Renaissance ou de Debussy. On constate à l’audition que l’esprit de la forme rhapsodique n’est pas loin de l’atmosphère que Vaughan Williams insufflait à sa Suite de 1925, notamment par le lyrisme qui se déploie largement dans les deux mouvements.

Le programme est complété par la Trauermusik de Paul Hindemith, une partition d’un peu plus de sept minutes, en quatre mouvements plaintifs et douloureux. Le 19 janvier 1936, Hindemith est à Londres où doit avoir lieu trois jours plus tard la création anglaise de son concerto Der Schwanendreher avec l’Orchestre de la BBC dirigé par Sir Adrian Boult. Mais le roi Georges V décède à la fin de la journée du 20 janvier. Le lendemain, Hindemith écrit d’un trait sa Trauermusik en hommage au défunt ; la partition sera créée le soir même, par le même chef et le même orchestre. On y trouve des citations d’œuvres de Hindemith, Mathis le peintre ou Der Schwanendreher, mais aussi d’un choral de Bach, « Für deinen Thron tret ich hiermit » (« Je me tiens debout près du trône »). Quant aux Lachrymae de Britten, qui clôturent cette gravure, elles ont été composées pour alto et piano en 1950, dédiées à William Primrose et créées par ce prodigieux altiste à Aldeburgh, avec Britten au piano. On entend ici la version pour alto et cordes transcrite par Britten en 1976, peu de temps avant sa mort. Cet hommage poignant à John Dowland, dont on retrouve des allusions à certains airs (« If my complaints could passions move » et « Flow my tears »), sonne un peu comme le glas de l’existence de Britten et prend une dimension prémonitoire. Timothy Ridout réussit à passer du style léger et frais de Vaughan Williams au lyrisme de Martinu, puis à la douleur de Hindemith et de Britten avec aisance, en faisant la démonstration de sa capacité à s’imprégner des différentes atmosphères pour les présenter dans leur langage respectif avec l’intonation qui convient. Voilà un jeune artiste dont la carrière s’annonce prometteuse. L’Orchestre de chambre de Lausanne, dirigé par Jamie Phillips, est le digne soutien dans ce CD éclectique, enregistré en septembre 2019 en la Salle Métropole de Lausanne.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

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