Les mélodies de Roger Quilter, un univers intime et raffiné

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Go, lovely Rose. Roger Quilter (1877-1953) : Shakespeare Songs ; A Floral Tribute ; Folksongs ; At the Graveside ; German Songs ; Songs of Love. James Gilchrist, ténor ; Anna Tilbrook, piano. 2023. Notice en anglais, en allemand et en français. Textes des mélodies en langue originale. 64’40’’. Chandos CHAN 20322.

S’il est peu connu de ce côté-ci de la Manche, Roger Quilter, originaire de Brighton, est l’une des figures emblématiques de la mélodie anglaise, univers qui constitue l’essentiel de sa production, somme toute limitée. On ne lui connaît en plus qu’un petit nombre de partitions, dont de la musique de scène. Issu d’une famille aisée, ce dilettante a vécu de ce privilège. De santé fragile, il a aussi été victime de préjugés quant à son homosexualité, alors illégale. Ses études, après le collège d’Eton, l’ont conduit au Conservatoire Hoch de Francfort, auprès d’Iwan Knorr (1853-1916), pédagogue réputé, qui eut aussi pour élèves Cyril Scot ou Percy Grainger. Quilter fut proche de ces deux derniers dès l’Allemagne. Après sa formation, Il ne quitta plus l’Angleterre, sauf pour des séjours occasionnels en Europe, et accompagna souvent des chanteurs dans ses propres mélodies. La notice de Valerie Langfield, qui a écrit une biographie sur le compositeur, évoque un enregistrement de 1934, qui consiste en dix-sept mélodies interprétées par le baryton Mark Raphael, Quilter se révélant un pianiste au goût très fin. Il fut très affecté par la disparition de son neveu Arnold Guy Vivian, son héritier désigné, qui fut tué en 1943 en tentant de s’échapper du camp où il était prisonnier. Quilter, qui avait écrit des mélodies pour ce ténor dès 1920, ne s’en remit jamais, au point d’être victime de troubles mentaux.

Les mélodies de Quilter, au nombre de près de cent cinquante, forment un ensemble remarquable, fluide et sensible, empreint de légèreté délicate, de finesse, d’expressivité, d’attrait pour la nature et les jardins, ainsi que pour les sentiments et les émotions. Elles ont tenté plusieurs voix depuis le début de notre siècle, comme Anthony Rolfe-Johnson, John Mark Ainsley, Lisa Milnes, Nathan Vale ou Charlotte de Rothschild, qui s’en est fait une spécialité (nous avons évoqué, le 20 avril 2020, un album de ces deux derniers chanteurs, paru chez Nimbus). Pour Chandos, le ténor James Gilchrist, qui se produit avec la même aisance dans Bach, Haydn ou Britten, mais est attiré aussi par des répertoires moins fréquentés, signe un florilège des plus éloquents. Son récital est bâti sur six thèmes représentatifs de toute la carrière de Quilter, les mélodies choisies émanant en grande partie de la première décennie du XXe siècle, mais s’étalant jusqu’en 1942.

Six Shakespeare Songs, composés entre 1905 et 1938, forment un premier ensemble. Quilter fait la démonstration de sa connaissance de cet univers prestigieux, auquel il est souvent revenu, avec un talent de conteur capable de mettre en valeur aussi bien la tragédie (Henry VIII ou Cymbeline) que la comédie (As You Like It, pour laquelle il écrira une musique de scène). Il suffit d’écouter Come away, death, inspiré par La Nuit des Rois, pour s’en convaincre. Tout au long du parcours (27 plages), le ténor, suggestif au possible, soigne la langue et perfectionne son approche jusqu’au détail le plus infime. Il enchante dans les pages consacrées au monde des fleurs et à leurs parfums, dont Go, lovely rose de 1922, des vers célèbres d’Edmund Waller, poète du XVIIe siècle, qui, à travers le cisèlement des mots, donne son titre à l’album. Quatre chansons populaires sont tirées des mélodies écrites pour le neveu (1921, puis 1942), qui ont été réunies dans The Arnold Book of Old Songs. Une prenante émotion s’en dégage, comme de Dream Valley, sur un texte de William Blake, ou des Songs of Love (1905-1921), qui clôturent le récital. 

Une note de James Gilchrist est l’exact reflet de ce que l’on ressent à l’écoute : J’aime tout particulièrement les mélodies plus lentes et mélancoliques, Il ajoute un peu plus loin : Je suis profondément reconnaissant à Roger Quilter d’avoir fait du monde un endroit plus beau. On souscrit à cette confidence, qui trouve encore une source dans les Four Songs of Mirza Schaffy de 1902/11, sur des textes allemands de Friedrich von Bodenstedt (1819-1892). Ils rappellent que le compositeur a étudié à Francfort et y a vécu près de cinq ans. La simplicité et la tendresse qui s’en détachent sont déjà la mesure d’un art de la mélodie qui touche le cœur. Anna Tilbrook offre au ténor un écrin pianistique au sein duquel les mots prennent tous leur sens, à la fois sensuel et si humain. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10  

 Jean Lacroix

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