Les Quintettes avec clarinette de Mozart et de Widmann réunis dans un alliage de magie sonore

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintette pour clarinette et cordes en la majeur K. 581 « Stadler-Quintet » ; Jörg Widmann (°1973) : Quintette avec clarinette. Jörg Widmann, clarinette ; Quatuor Hagen. 2019. Notice en anglais, en allemand et en français. 71.56. Myrios MYR 031.

Voilà déjà trente-cinq ans (DG, 1988), le Quatuor Hagen, fondé en 1981, enregistrait le Quintette avec clarinette de Mozart avec le Suisse Eduard Brunner (1939-2017), qui fut pendant trois décennies première clarinette de l’Orchestre de la Radio bavaroise, en grande partie sous l’ère de Rafael Kubelík. C’était une version d’une grande pureté et d’une belle transparence. Cette fois, c’est avec un autre virtuose de l’instrument, le Munichois Jörg Widmann (°1973), qui est aussi compositeur (il a étudié avec Hans Werner Henze et Wolfgang Rihm) et chef d’orchestre, qu’il en propose une nouvelle lecture, réalisée il y a quatre ans, du 23 au 26 février 2019, dans la Sendesaal de Brême. En 2012, Jörg Widmann avait gravé, déjà pour le label Myrios, le Quintette de Brahms avec le Quatuor Hagen, qui se compose de trois membres d’une même fratrie de Salzbourg (Lukas, Veronika et Clemen Hagen) et du violoncelliste allemand Rainer Schmidt.

On ne reviendra pas sur la genèse de cette merveille mozartienne de 1789, d’inspiration maçonnique, écrite pour son ami Joseph Stadler (1753-1812), pour lequel fut composé aussi le concerto pour l’instrument. Le Quintette K. 581 est un chef-d’œuvre qui baigne dans un climat d’infinie élégance et respire dans le cadre d’un lyrisme chaleureux où circulent la tendresse, le charme et l’intimité. Des constantes qui trouvent dans le Larghetto un accomplissement : tout y est ciselé, alliant la souplesse à la finesse, dans une atmosphère expressive qui ne verse pas ici dans l’effusion, mais se nimbe d’un raffinement qui traverse toute l’interprétation, que l’on peut situer entre ombre et lumière. On sort de l’écoute avec une sensation de fragilité dynamique, ce qui n’est pas une contradiction dans les termes, mais plutôt la concrétisation d’un investissement à la fois touchant et contrasté, qui tient compte de ce que souligne Jörg Widmann : Mozart est mon fidèle compagnon, qui m’étonne, qui me choque, et que je ne comprends pas toujours. J’ai beau lire et relire sa musique, l’analyser, je ne suis jamais en mesure de dire pourquoi elle est ainsi. Je ne constate que cette aisance saisissante et cette perfection. Cette constatation, devant laquelle il est précisé que le clarinettiste « a capitulé » porte en tout cas ses fruits : c’est une très belle réussite et une nouvelle référence discographique.

Le complément permet d’entrer plus avant dans le monde de la création de Jörg Widmann, dont on découvre le Quintette de 2017, une vaste partition de près de quarante minutes qui est en fait une commande des Hagen, formulée dès 2009. On lira dans la notice de Florian Hauser, qui reproduit le texte du programme du concert donné dans la Salle Pierre Boulez le 29 janvier 2018, le lent chemin parcouru par le compositeur pour qu’un gigantesque Adagio voie le jour, signalé par le commentateur comme empreint d’une ambivalence mozartienne, âcre mais aussi très doux, un terme que Widmann revendique. Dans un climat désincarné, étrange et irréel, avec des emprunts à Brahms et bien sûr à Mozart, l’œuvre s’exprime autant par l’attention au silence et au mystère que dans une matière sonore traversée par des débordements, des vibrations, des cris instrumentaux. Elle installe ainsi une perspective dans laquelle la remarque de Rilke citée par le compositeur prend toute sa dimension : « Le fruit est trop mûr et il doit éclater. Lorsque la beauté devient trop grande, elle doit peut-être aboutir à un cri. » 

L’œuvre ne s’appréhende pas tout à fait au premier abord et demande sans doute une écoute répétée pour en assimiler toute la méandreuse richesse. Le Quatuor Hagen est en osmose avec Jörg Widmann pour amener cette aventure contemporaine à son stade le plus évocateur : celui de la magie sonore, fil rouge de ce remarquable album. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix

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