Les Quintettes de Mozart et Beethoven, par des vents et un pianoforte truculents
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quintette pour piano et vents K. 452 - Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Variations pour piano sur « Une fièvre brûlante » de Grétry ; Quintette pour piano et vents Op. 16. Anthony Romaniuk, pianoforte ; WOLF (Benoît Laurent, hautbois ; Jean-Philippe Poncin, clarinette ; Bart Cypers, cor ; Jean-François Carlier, basson). 2020. 56’24. Livret en anglais, en français et en néerlandais. Evil Penguin EPRC 0038.
Mozart et Beethoven ont écrit leurs quintettes à 12 ans d’intervalle (1784 et 1796), et il est évident que le second a pris le premier comme modèle : même structure (trois mouvements, avec une introduction lente et à caractère orchestral pour le premier, et un rondo qui rappelle la forme du concerto pour piano comme finale), même tonalité (mi bémol majeur) et même formation rare (piano, hautbois, clarinette, cor et basson).
Par ailleurs, des coïncidences sont trop flagrantes pour en être. La plus significatives est que Beethoven a commencé à travailler à son quintette au moment où Mozart publiait le sien. Mais il faut aussi remarquer qu’il le fit paraître (pour cette formation, mais aussi comme quatuor pour piano et cordes, tout comme le fit Mozart) seulement quelques années après l’avoir terminé, au moment où celui de Mozart réapparaissait au concert alors qu’il n’avait plus été joué depuis quelques années.
Ce n’est pas le lieu ici d’étudier la complexité de l’état d’esprit de Beethoven comme successeur de Mozart. Ce qui est certain, c’est qu’il ne pouvait pas s’abstraire totalement de cet évidente filiation.
Son génie visionnaire n’allait sans doute pas jusqu'à imaginer qu’un jour leurs deux œuvres seraient réunies au disque, près d’un siècle et demi plus tard ! Pourtant c’est le couplage le plus courant, et de loin, pour l’un ou l’autre de ces deux quintettes. Du temps du 33 tours, chacun avait sa face d’un peu moins de 25 minutes, et l’on s’en tenait là. Avec le CD, qui permettait d’aller jusqu'à 80 minutes, cela faisait une durée totale trop chiche, et sans la contrainte des deux faces l’on pouvait y associer assez librement une autre œuvre, le plus souvent soit de Mozart soit de Beethoven, mais pour une autre formation.
Ici, le choix a été fait de variations pour piano de Beethoven, parmi les moins jouées, et contemporaines du Quintette. Au nombre de 8, de moins d’une minutes chacune, sur un air extrait de l’opéra-comique Richard Cœur de Lion de Lucien Grétry, elles permettent au pianoforte d’Anthony Romaniuk, que ce soit par le jeu du musicien ou par les qualités de l’instrument, de briller de tous ses feux, depuis l’incandescence d’une brindille jusqu'à l’embrasement chaotique. En un peu plus de 7 minutes, c’est une véritable démonstration instrumentale. Du reste, d’après les propres termes de l’interprète, « le présent enregistrement est la meilleure vitrine de l'instrument qui existe à ce jour ». Il faut préciser qu’il a fait faire, selon des critères très subjectifs et à la suite d’une très longue réflexion, cette réplique d’un pianoforte classique par un facteur qui y a ajouté des détails hérités de son expérience d’instruments plus tardifs.
Avant cela, le Quintette de Mozart. Il donne aux musiciens de l’ensemble WOLF l’occasion de montrer combien chaque instrument, d’après un modèle historique, a sa personnalité propre, tout en se fondant dans une sonorité d’ensemble chaleureuse, sensuelle, onctueuse. Et comme tout cela est très nuancé et caractérisé, que les intentions musicales sont poussées aussi loin que possible, que les interprètes n’hésitent pas à improviser des « décorations » (selon le mot délectable de Robert Levin, qui en a réalisé un superbe enregistrement, l’un des premiers « historiquement informés » – à l’époque on disait « sur instruments anciens » – en 1998), l’on ne s’ennuie pas un instant.
Il faut dire que ce Quintette est vraiment l’un des grands chefs-d’œuvre de Mozart. Il en avait d'ailleurs conscience, écrivant alors à son père : « Je le tiens pour ce que j’ai composé de mieux de toute ma vie. » Comme toujours avec Mozart, le monde de l’opéra n’est pas loin. Avec de tels interprètes, les personnages sont hauts en couleurs !
Et pour finir le CD, le Quintette de Beethoven. La chronologie est ainsi respectée, et c’est ainsi que font tous les éditeurs. L’Opus 16 de Beethoven est sans doute plus symphonique, plus brillant, plus immédiat que le K. 452 de Mozart. Et pourtant... Ne serait-il pas intéressant, dans l’idée de la fameuse phrase de Sacha Guitry « Ô privilège du génie ! Lorsqu’on vient d’entendre un morceau de Mozart, le silence qui lui succède est encore de lui. », de terminer par Mozart, plus concis, plus intime, plus sensible, en un mot : plus profond ?
L'interprétation y est peut-être encore plus remarquable que dans Mozart. Car là où le compositeur avait déjà donné des directions plutôt tranchées aux interventions individuelles, il y avait un risque d’outrance, voire de caricature à les appuyer. Tandis qu’ici, avec une écriture plus homogène, cette mise en valeur instrumentale et cette radicalité de l’interprétation ajoutent une variété de couleurs et un contenu émotionnel bienvenus.
Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 9
Pierre Carrive