A Genève, Jonathan Nott et le XXe siècle  

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Pour la série ‘R comme Romande mais aussi Rareté’, Jonathan Nott consacre le programme du 16 mars de l’Orchestre de la Suisse Romande à trois œuvres majeures du XXe siècle. Il décide surtout d’en juxtaposer deux que l’on a souvent rapprochées, Le Sacre du Printemps, datant de l’hiver 1912-1913, et Arcana qu’Edgar Varèse composa entre 1926 et le printemps de 1927.

Du célèbre ballet d’Igor Stravinsky qui est devenu aujourd’hui un classique, il conçoit l’Introduction comme une longue improvisation menée par le basson dans l’aigu permettant aux bois de développer librement leur couplets. Pour la Danse des adolescentes, il recherche la précision du trait tout en accusant la pesanteur des accords dans les parties de cordes. Les Rondes printanières, le Jeu des cités rivales sont de véritables orgies sonores  tourbillonnant jusqu’à l’entrée des cuivres hiératiques qui accompagnent le Cortège du Sage. Puis une tenue en pianissimo imprégnée de mystère est engloutie par le presto sauvage de la Danse de la Terre. L’Introduction de la seconde partie paraît trop présente en nous privant d’une connotation envoûtante que finira par nous restituer le dialogue des cordes avec les trompettes en sourdines. Sur le pizzicato des violoncelles et contrebasses s’appuyant sur la percussion surgit la Glorification de l’élue. Le rallentando permettant l’Evocation des ancêtres est rapidement zébré par les stridences de la trompette propulsant la Danse sacrale, d’un fauvisme extrême par ses traits à l’arraché.

Quant à Arcana d’Edgar Varèse, Jonathan Nott l’assimile à un magma sonore où est martelé un motif de onze notes. De cette masse s’échappent de fulgurantes poussées dans l’aigu qui se canalisent ensuite en une marche coloniale. Le bloc des cuivres la métamorphose en un choral réunissant des segments mélodiques épars qui achèveront l’œuvre en un gigantesque point d’interrogation.

Entre ces deux piliers de la production symphonique du XXe siècle, Jonathan Nott intercale le magnifique triptyque pour soprano et orchestre, Shéhérazade de Maurice Ravel, conçu en 1903 sur des poèmes de Tristan Klingsor. Au niveau de l’exécution, sa difficulté majeure réside dans l’équilibre entre la voix et l’orchestre. Ici le chef brosse un canevas mystérieux concédant à Christiane Karg de réitérer par trois fois le mot ‘Asie’ dans un ébahissement qui enveloppe les premières stances. De la richesse de la palette il tire une myriade de teintes fascinantes qui se diluent dans l’accompagnement  mais qui se répandent avec générosité  dans les transitions amenant chaque nouvelle strophe. Le deuxième poème, La Flûte enchantée, prend un tour énigmatique qui s’anime passagèrement mais que les flûtes éteignent dans un pianissimo tout aussi étrange. Par l’onctuosité du coloris se détache L’Indifférent qui nous quittera à pas feutrés

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, 16 mars 2022

Crédit photographique : Pierre Abensur

 

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