Les six Sonates de Mendelssohn : aristocratique lecture sur le Cavaillé-Coll de Saint-Omer

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Attacca la Fuga. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Six Sonates pour orgue Op. 65. Nicolas Bucher, orgue Cavaillé-Coll de la cathédrale de Saint-Omer. Livret en français. Parution 2023 (date d’enregistrement non précisée). TT 76’23. Hortus 230

Laboratoire imprégné des rigueurs de Bach comme de l’émoi romantique, cet opus 65 influencera tout au long du second XIXe siècle (Alexandre Guilmant, César Franck, Franz Liszt…), et au-delà l’école symphonique. De Masevaux (Yves Castagnet, Olivier Vernet) à Riga (Josef Sluys, Edouard Oganessian), de Würzburg (Kay Johannsen) à Durham (James Lancelot), de Rouen (Pierre Labric) à Oslo (Anders Eidsten Dahl), de Chester (Roger Fisher) à Leipzig (Ullrich Böhme), de Schwerin (Ursula Hauser) à la cathédrale Saint-Paul de Londres (John Scott) : à l’instar de leur auteur, infatigable voyageur, les six Sonates de Mendelssohn se prêtent à bien des factures, et ont vu bien du pays, au travers d’une discographie certes abondante. Et pourtant, comme le mentionne la notice de Nicolas Bucher, y revenir donne « l’impression de rentrer à la maison. De retrouver un espace intime, familier, et l’évidence faite musique ».

C’est la première fois qu’elles font toutes escale à Saint-Omer devant les micros, sur cet orgue qu’Aristide Cavaillé-Coll rénova en la cathédrale, dans un magistral buffet sculpté par les frères Piette (1717), une des plus imposantes tribunes de l’hexagone. Cet instrument inauguré en 1855 par Lefébure-Wély, et récemment relevé par les bons soins de Nicolas Toussaint et Quentin Requier, suit d’une dizaine d’années la publication de ces sonates et leur propose son plein-jeu rayonnant, ses anches délicatement timbrées (en soliste dans les Andante religioso et Allegretto de la no IV), ses fonds charnus (Andante de la no V). Nicolas Bucher ne s’y est pas trompé en choisissant ce joyau de son Pas-de-Calais natal que, selon ses mots, il connait depuis trente ans et dont il vante « une clarté, une lumière rares sur les instruments français contemporains ».

Le trépidant Allegro molto de la sixième Sonate révèle ces éclatantes ressources audomaroises, sur un galop d’arpèges qui pourrait être celui de cette « Malle-poste des Ardennes » reproduite en couverture. Pour autant, même en ce tempétueux avatar qui voudrait émoustiller le cantus firmus, l’interprétation ne sacrifie pas la clarté à l’élan et reste toujours d’une élucidante lisibilité. Au-delà de la cohérence formelle de chaque sonate, le CD de Hans Davidsson à Gammalkil (Loft, 2016) se sous-titrait « un cycle de dix-huit mouvements poétiques ». Similairement, le témoignage de Nicolas Bucher n’exagère pas la singularité de ces étapes et semble plutôt intégrer chaque volet dans une vaste architecture. Autant de scènes contribuant à un retable. On trouvera difficilement approche plus globalement cohérente, où l’expressivité se dégage de l’empreinte structurelle, à l’exemple de l’Andante de la Fa mineur, véritable essai en clair-obscur.

On salue souvent en Mendelssohn un génie de vignettiste, un maître de l’impression fugace (qui croqua les paysages marins de La Grotte de Fingal, ou essaima d’insaisissables scherzos qui firent école), et parfois borné par le parfum anodin de ses mélodies, celui des Romances sans paroles. L’un des mérites de Nicolas Bucher, qui s’est dernièrement illustré au disque par de remarquables incursions dans le Grand Siècle de Nicolas Lebègue et Nicolas de Grigny (chez CVS et Hortus), est de valoriser la noblesse et la grandeur de l’écriture, voire sa sévérité, émanant de l’auteur de la symphonie « Réformation » : son propos n’est pas de charmer ou d’implorer la nuance. À telle enseigne, dans son style majestueux, impavide, de haute tenue : cet enregistrement rejoint et complète nos versions favorites : Yves Castagnet (RCA), Bernard Coudurier (BNL), Roman Perucki (Soliton), Susan Landale (Calliope), Ullrich Böhme (Capriccio) et Jan Lehtola (Alba). 

Christophe Steyne

Son : 8,5 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Tags : Nicolas Bucher

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